Au fil du câble : Coppola, Limosin, Nossiter, Wilson, Tourneur

CoupDeCoeur

Coup de cœur (One From the Heart, 1982) de Francis Ford Coppola, sur CinéCinéma Succès.

Sur CinéCinéma « Succès » ? On aurait pourtant juré que le four au box-office de Coup de cœur avait précipité la faillite de l’American Zoetrope de Coppola… Plutôt que de méditer sur la répartition des films entre les diverses déclinaisons de CinéCinéma, mieux vaut revoir cette rêverie minnellienne dans un Las Vegas plus faux que nature, pensé comme la préfiguration d’un cinéma « électronique » à venir mais qui frappe aujourd’hui par son clinquant sentimental d’époques (années 80, 50, peut-être 10). Pas d’erreur : tout cela est d’une beauté d’autant plus persistante qu’elle a toujours été fragile. Hank et Frannie se perdent entre les néons d’un conte de fées techno-rétro où s’invitent des fantômes fluorescents. Les effets spéciaux effacent le hors-champ : tout est là, dans le même plan mutant. A la fin, le couple retrouvera son ordinaire domestique. S’ils avaient persévéré, ces maladroits auraient appris à danser. Le maniérisme aurait alors accouché en avance du cinéma karaoké.

GardienDeLaNuit

Gardien de la nuit (1986) de Jean-Pierre Limosin, sur CinéCinéma Auteur.

S’il est une chaîne, dans la nouvelle collection CinéCinéma, dont la légitimité ne fait aucun doute, c’est bien celle dédiée au cinéma d’« auteur ». Non qu’elle diffuse des films meilleurs que les autres, mais elle a le mérite d’en faire ressurgir que la télévision avait oubliés, tel Gardien de la nuit, le deuxième film de Jean-Pierre Limosin. On y suit un jeune homme qui passe ses nuits du côté de l’ordre (dans la police municipale) et ses journées à créer du désordre, entre vols de voiture, hold-up amateur et encerclement dragueur d’une amie qui fréquente les gosses de riche. C’est un film-manège, joliment décentré et avide de faire naître de la fiction (du relief) sur sa surface originellement plane mais pourvue de creux presque effrayants. Un film à (re)voir en compagnie du premier Limosin, Faux-Fuyants.

SignsWonders

Signs and Wonders (2000) de Jonathan Nossiter, sur Cinéfaz.

Signs and Wonders est l’histoire d’un interprète. D’un acteur, d’un homme qui agit, mais en fonction de ce qu’il croit comprendre du monde, des signes qu’il devine, fantasme ou invente un peu partout et qu’il interprète. Mais nul n’est plus manipulable que celui qui lit avant de voir. Et qui est responsable de la mise en scène ? La femme, bien sûr. Quand Stellan Skarsgard suit Deborah Unger soudain apparue par hasard – croit-il – sur ses skis, c’est une filature plus qu’une poursuite : il importe moins de la rejoindre que de glisser sur sa trace. Lorsqu’il apprendra qu’elle avait tout manigancé, il ne voudra plus d’elle, et ce beau film à la plastique DV troublante, que l’on qualifierait de mélodrame policier si l’expression ne désignait pas couramment tout autre chose, deviendra très inquiétant. La folie du personnage est aussi celle du spectateur de cinéma. Un signe perd-il de sa valeur parce qu’il a été placé là à dessein, parce qu’il relève d’une intention ? Il a choisi son camp (et en souffrira). Et s’il avait pourtant raison ?

BlastPast

Première Sortie (Blast from the Past, 1999) de Hugh Wilson, sur CinéCinéma Premier.

Extraite du rayon plus fourni qu’on ne l’imagine des comédies américaines récentes méconnues, voici Première Sortie, où un homme découvre le monde après 35 années dans un abri antiatomique en compagnie de ses seuls parents. Des années 60 à nos jours, tout a changé, mais le comique ne repose pas exactement sur les comportements anachroniques du personnage. Car c’est d’abord en Brendan Fraser, acteur au physique contradictoire, que Première Sortie trouve son moteur. Un visage mou et ahuri de gamin attardé, un corps de jeune premier svelte et musclé : toute l’histoire du film est celle de la difficulté à les faire coïncider. Il n’est pas incompétent, mais tout se passe comme si une partie de lui-même ne suivait pas, ne comprenait pas, n’y croyait pas. En Brendan Fraser, le film tient une chose rare et précieuse : un faux raccord fait homme.

Flame

La Flèche et le flambeau (The Flame and the Arrow, 1950) de Jacques Tourneur, sur CinéCinéma Succès.

Si, dans les films fantastiques de Jacques Tourneur, la peur naît de l’invisible, dans la féerie garçonne (donc pas tout à fait mâle) de La Flèche et le flambeau, l’émerveillement résulte de ce qui est donné comme spectacle, des acrobaties, des numéros de cirque en Technicolor libéré. Burt Lancaster y est, pour nous, le fils caché de Robin et des Bois et de Zorro, réfugié dans la forêt avec son fidèle compagnon muet interprété par Nick Cravat pour former « le plus émouvant couple d’hommes de l’histoire du cinéma » (copyright Louis Skorecki). Et les femmes ? Elles rêvent de notre héros, mais lui préfère se bagarrer dans les bois. Quand il en tient une, il lui enroule une chaîne autour du coup et l’attache à un arbre. Est-ce un ours, une chatte ? C’est quoi, une femme ? Bientôt, il l’étourdira de ses envols lutteurs. Elle ne mordra alors que quand il le voudra bien.

(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°574, rubrique « Au fil du câble », décembre 2002)

Erwan Higuinen

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