Plus éclectique que Ken Loach et Mike Leigh, les deux autres grandes figures du cinéma britannique actuel, dont il partage en partie l’approche « sociale », Stephen Frears se divise entre l’Angleterre et Hollywood, où il a signé quatre films depuis 1988. Tourné, en 1990, dans la foulée des Liaisons dangereuses, Les Arnaqueurs est au départ un projet de Martin Scorsese qui, ne pouvant le réaliser, décide de produire le film, qu’il propose à Frears. Ce dernier, grand amateur de séries noires, se lance alors dans l’adaptation du roman de Jim Thompson en compagnie de Donald Westlake. Frears, en artisan de cinéma qui accorde une attention toute particulière à ses scripts, s’attache donc une fois de plus la collaboration d’un scénariste-écrivain, après Hanif Kureishi (My Beautiful Laundrette, Sammy and Rosie) et avant Roddy Doyle (The Snapper, The Van).
Visiblement sur la même longueur d’onde, Frears et Westlake décident de rester aussi fidèles que possible au style du roman d’origine. Le film relate une succession d’arnaques qui, pour chacun des trois personnages (la mère, le fils et sa maîtresse), sont autant de mises en scène et de façons de se réinventer une identité afin de plier la réalité à ses désirs (d’argent, de domination), donc de se faire son cinéma, mais avec un double risque : être démasqué ou être vaincu par une meilleure mise en scène. Avec ce film ludique autant que tragique (tout jeu a ses perdants), Frears évite les deux écueils sur lesquels butent la plupart des films noirs contemporains : l’exercice de style purement référentiel et le produit chic putassier. Il ne se livre pas non plus à une relecture radicale du genre à l’image des frère Coen ; c’est à la fois la limite et la grande qualité des Arnaqueurs, film qui reprend les choses à leur source hustonienne comme en témoigne la présence en tête du casting d’Anjelica Huston, fille de John, et s’offre modestement comme une œuvre de série redécouvrant au présent les principales règles du genre.
(Paru dans Libération du 6 septembre 1997)
Les Arnaqueurs (The Grifters, 1990) de Stephen Frears