La Chance de ma vie

MeMyselfI

A trente ans et des poussières chaque jour plus visibles, Pamela, célibattante ordinairement lessivée, s’interroge : n’aurait-elle pas dû, treize ans plus tôt, accepter la demande en mariage de son boyfriend de lycée ? Brusquement, après un accident, elle se retrouvera dans la peau de celle qu’elle serait devenue si elle avait fait un autre choix, si sa vie avait pris un autre embranchement à l’instant décisif. « Ou bien / ou bien », se dit le spectateur qui en a vu d’autres. Et qui se trompe. Plus que de l’exploration de deux existences parallèles, La Chance de ma vie tient du jeu de rôle enfantin, façon « on dirait que je serais une femme mariée ». Du coup, la comparaison attendue entre carriérisme et vie de famille passe au second plan, forcément faussée puisque la continuité de l’existence a été brisée. Pamela n’est pas prête, elle possède un savoir, des habitudes qui ne suffisent pas. D’où une distance et un léger retard dans l’exécution de chaque geste : les choses ne vont pas de soi, il faut apprendre, Pamela se regarde agir comme elle fixe, incrédule, son reflet insensiblement modifié dans un miroir.

C’est de cet effet de décalage, décliné par la réalisatrice sur nombre de situations de la vie quotidienne, que le film tire sa plaisante étrangeté, que ne parviennent pas tout à fait à gâcher la tendance malencontreuse de Pip Karmel à céder à la facilité (notamment en utilisant certains personnages secondaires comme faire-valoir ou repoussoirs) et la morale plate mais appuyée dont elle dote sa fable (on construit soi-même son bonheur, ou quelque chose de ce genre). Mais sa relative réussite, La Chance de ma vie la doit surtout à Rachel Griffiths, actrice australienne enfin gratifiée d’un rôle à sa mesure, qui joue à merveille des facultés de transformation de son corps malléable et de son long visage qui semble se recomposer à chaque instant. La caméra ne la quitte pas, observant sans relâche la façon dont elle travaille à gagner sa place dans le plan. Ce qui, quelles que soient par ailleurs les faiblesses du film, n’est déjà pas rien.

(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°539, octobre 1999)

La Chance de ma vie (Me Myself I, 1999) de Pip Karmel

Erwan Higuinen

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