Ginger et Fred

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Avec Ginger et Fred, Fellini s’attaque à la télévision via la reconstitution du gigantesque show de Noël d’une chaîne privée. Mais si la charge, ­ qui n’en est qu’à moitié une, ­ porte, c’est d’abord parce que la télé à paillettes de Berlusconi et assimilés n’est pas aussi étrangère qu’il y paraît au cinéma du grand Federico. Tous deux se nourrissent en effet des mêmes divertissements populaires, cirque ou music-hall. La véritable différence est plutôt à chercher du côté du regard porté sur les êtres filmés, regard aimant (dans les deux sens du terme : qui aime et qui attire à lui, comme un aimant) contre froide curiosité mêlée de mépris.

A partir de là, Fellini fait un choix, forcément arbitraire, celui de suivre lesdits Ginger et Fred (Giulietta Masina et Marcello) engagés pour reproduire le numéro d’imitation de Ginger Rogers et de Fred Astaire qui a fait leur renommée trente ans plus tôt. Fellini aurait aussi bien pu centrer son film sur d’autres invités de l’émission, mais décide de suivre deux personnages, de raconter leur histoire, alors que, pour la télé, les nains musiciens, les sosies de stars, les « vrais clochards », le député en grève de la fin pour protester contre la chasse ou la vache aux dix-huit pis, c’est la même chose : juste l’objet de quelques minutes d’attention avant de passer à autre chose.

Fellini, lui, s’attarde sur ses personnages et leur offre de très beaux moments. Ainsi de cette scène où, dans une grande pièce vide, ils enfilent leurs costumes de scène. Giulietta Masina se regarde dans un miroir dans le coin duquel on aperçoit soudain, appuyé sur un mur au fond de la salle, Mastroianni en smoking, qui paraît surgir de très loin, de leur passé commun. Plus tard, sur le plateau de télé, juste après une coupure de courant qui leur aura apporté quelques minutes d’intimité au milieu d’un public qui ne peut les voir, ils danseront, fragiles (lui plus qu’elle, finalement), pour quelques instants de grâce miraculeuse au milieu d’un monde désenchanté.

(Paru dans Libération du 10 mai 1997)

Ginger et Fred (1996) de Federico Fellini

Erwan Higuinen

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