Eté violent (Estate violenta, 1959) de Valerio Zurlini, sur CinéCinéma Classic.
Dans l’Italie de 1943, un jeune homme rencontre une jeune (mais moins) veuve. Chacun, alors, s’éloigne insensiblement de son milieu, et Eté violent tangue entre la joie chahuteuse des ragazzi et la solennité nuageuse de la femme. C’est une lutte entre des courants contraires, nés de l’individu, du couple, du groupe, du peuple. Tour à tour soyeux et strident, gorgé de désirs et soumis à l’histoire, le film additionne les rythmes, les façons d’occuper le plan, en conquérant ou timidement, au centre ou retranché dans un coin. Hors champ, il y a la guerre finissante, que l’on rejette (changer de station de radio, de la musique, vite) mais qui revient. Ce pourrait être un axiome définitif : une histoire d’amour, c’est toujours dans un pays en guerre. Auteur de huit films entre 1954 et 1976, mort il y a 20 ans, Valerio Zurlini détonne dans le paysage du cinéma italien, peut-être parce qu’il réunit Rossellini et Antonioni pour les entraîner ailleurs, chez Bergman, et puis chez Sirk. De lui, CinéCinéma Classic diffusera aussi La Fille à la valise (1961).
A deux pas de l’enfer (Short Cut to Hell, 1957) de James Cagney, sur Cinétoile.
Un jour, James Cagney a réalisé un film. Pas deux, juste un, et sans apparaître devant la caméra. Jeune, aurait-il pu jouer dans A deux pas de l’enfer à la place de Robert Ivers, acteur légèrement inachevé, comme arrêté à mi-chemin entre Dana Andrews et James Dean ? Imaginons-le dans cette relecture tourmentée d’un roman de Graham Greene déjà adapté quinze ans plus tôt (Tueur à gages, de Frank Tuttle), en homme qui caresse un chat, et brusquement l’étrangle. Et la fille ? Elle n’est pas un chat, pas exactement. Le chat, c’est lui, qui se voudrait professionnel (il tire où il est payé pour) mais perd son sang-froid. Cagney, énergique et turbulent, n’aurait pas eu cette discrétion minérale, cette quasi insignifiance qui retient le récit. Cagney est ailleurs, il est la caméra, la musique. Heurts soudains, brusques embardées, flambées surgies de sous les cendres, l’œuvre, noire, est à la fois nette et incontrôlable. Un jour, James Cagney est devenu un film.
La Peur au ventre (I Died a Thousand Times, 1955) de Stuart Heisler, sur CinéCinéma Classic.
Hollywoodien non négligeable mais de faible renommée, Stuart Heisler s’attaque, en 1955, à une histoire déjà filmée à deux reprises par Raoul Walsh, dans High Sierra, puis Colorado Territory. Le film s’appelle I Died a Thousand Times, « je suis mort mille fois ». Jack Palance y succède à Humphrey Bogart et Joel McCrea. Son visage de squelette boxeur porte les stigmates de ces morts répétées, devant une femme qui l’assassine toujours et encore de son regard ardent. High Sierra est la partition que joue Heisler avec une vigueur ancienne, en couleurs un rien passées. Le film est-il plus dur, plus comique, plus mélo que ceux de Walsh ? Pas évident que plusieurs visions apporteraient la même réponse. Une chose est sûre : en ce temps-là, Heisler et Walsh respiraient le même air.
Une vie à deux (The Story of Us, 1999) de Rob Reiner, sur CinéCinéma Emotion.
Globalement conspué lors de sa sortie en salles, Une vie à deux était pourtant le meilleur film de Rob Reiner depuis bien longtemps, une manière de Quand Harry rencontre Sally renversé où ce n’est pas l’union mais la séparation attendue d’un couple qui est sans cesse reportée. Ce film amer, dont la fin heureuse sonne naturellement faux, est sans doute plus à son aise sur le petit écran, entre les séries Dingue de toi (dont il pourrait être l’issue cauchemardée – on y croise très logiquement l’acteur Paul Reiser) et Once and Again (dont il figure un prologue possible). Le présent à deux n’existe plus, alors vient le temps du ressassement, jusqu’à l’étonnant montage final de moments prélevés et réunis par associations d’idées ou de mots, changés en icônes clignotantes d’un temps révolu. On reste à la maison, mais le New Rose Hotel d’Abel Ferrara est au coin de la rue.
Les Idoles (1968) de Marc’O, sur CinéCinéma Classic.
Avant, il y eut le théâtre d’avant-garde, les improvisations communautaires. Juste après, Jean-Pierre Kalfon et Bulle Ogier, sans Pierre Clémenti, se retrouveront chez Rivette, ce sera L’Amour fou. En 1968, Marc’O tourne son seul film, pop, aux airs d’installation expressionniste ludique autour de trois « idoles » yé-yé. Un film-happening – à ne pas confondre avec un happening filmé –, où la mise en scène est une affaire collective, sous forme d’alliances ou d’affrontements, entre personnages, entre acteurs, entre acteurs et « metteurs en scène » officiels (le réalisateur ou, dans le film, les créateurs d’idoles). Avec son faste bricolé et son goût de la dépense semi ironique, sa manière de fabriquer et déconstruire du mythe d’un même geste, le film n’a eu qu’une descendance cinématographique limitée. Que Marc’O le veuille ou non, les enfants des Idoles sont ailleurs, dans la meilleure télévision qui, des clips à la télé-réalité, se précise chaque jour un peu plus.
(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°573, rubrique « Au fil du câble », novembre 2002)