Avant d’être un film, American Splendor fut une série de bandes dessinées, publiées annuellement depuis 1976. Ses saynètes et intrigues autobiographiques sont écrites et conçues par Harvey Pekar, puis illustrées par divers dessinateurs, le premier (historiquement) et le plus fameux étant Robert Crumb. Réalisé par un couple venu du documentaire, le film n’est ni une pure adaptation de cette BD, ni une biographie de son auteur (même si celle-ci guide le récit), ni un documentaire sur lui, mais un peu tout cela à la fois, juxtaposé, confronté, mélangé. Ainsi alternent à l’image quelques Harvey Pekar dessinés (qui surviennent un peu à la manière du chat du I Want to Go Home de Resnais, bien que moins fréquemment), l’acteur Paul Giamatti interprétant son rôle et le vrai Pekar pour des séquences d’interview elles-mêmes jouées (dans des décors stylisés) ou des images d’archives (Pekar invité à l’émission télé de David Letterman).
De la bande dessinée obstinément ancrée dans le quotidien, le non-exceptionnel, le film conserve une tendance à l’à-plat. L’hétérogénéité aussi bien formelle (les différents registres de séquences) que narrative (comédie du dérisoire ou mini-mélo réaliste) du film n’est jamais affichée avec insistance, les cinéastes travaillant au contraire à tout placer sur le même plan. Loin de tout fétichisme de l’authentique, leur mise en scène d’une existence relève du montage modeste de toutes ses représentations passées (BD, émission de télé, même pièce de théâtre) et présentes, qui viennent se déposer comme autant de couches successives ou de pièces d’un puzzle qui ne se conçoit qu’inachevé, qu’en constante expansion. Proche par sa plastique et son univers du Ghost World de Terry Zwigoff, American Splendor en déplace les enjeux afin de jouer sur les passages de la vie à l’histoire et du récit au spectacle, sans négliger ni mépriser aucune de ces étapes. Et sans oublier, au centre de son petit dispositif très pensé, de raconter aussi avec une minutie bienveillante les micro-aventures fragmentées de quelques personnages bien vivants.
(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°583, octobre 2003)
American Splendor (2003) de Shari Springer Berman et Robert Pulcini