A vendre

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Dans l’ensemble, A vendre est un film prétentieux et maladroit, bancal, lourdement signifiant, quasi indéfendable. On pourrait s’arrêter là, l’oublier et ranger Lætitia Masson parmi les cinéastes qui, après un premier film imparfait mais plutôt prometteur, se sont laissés griser, ont trop cru en leur propre virtuosité pour finalement s’effondrer au second, confrontés à leurs limites bien plus tôt qu’ils ne l’auraient cru. On pourrait vanter les comédiens, pleurer nos espoirs déçus et n’attendre le prochain film de Lætitia Masson qu’avec circonspection. Sauf que, dans le détail, cet évident ratage est souvent très beau, voire franchement bouleversant, le temps d’une séquence, d’un plan ou juste d’une fraction de seconde. Avec A vendre, on se trouve face à une œuvre qui vaut beaucoup moins que la somme de ses parties, comme si la matière était là mais que la cinéaste ne savait pas toujours quoi en faire, comme si, aveuglée par ses nouvelles ambitions, elle perdait de vue l’essentiel mais finissait quand même, de temps en temps, par y revenir. A vendre est un film boursouflé, artificiellement gonflé, qui abrite en lui un deuxième film beaucoup plus simple et direct, un très beau deuxième film qui lutte pour exister et parvient de justesse à brouiller les cartes – et les certitudes : comment peut-on décemment fondre en larmes devant un aussi mauvais film ?

France Robert (Sandrine Kiberlain) s’est enfuie. Celui qui allait l’épouser le jour même (Jean-François Stévenin) engage alors un détective privé italien (Sergio Castellitto) qui cherche à reconstituer son parcours et suit les traces de la fugitive à travers la France. En lutte avec son propre passé, il sent naître une fascination pour la jeune femme (qui a la particularité de faire payer tous ses amants) dont il se rapproche peu à peu, comme dans un remake de Laura en road-movie provincial – mais le portrait de la disparue, œuvre de l’actrice et peintre Anh Duong, ne viendra qu’à la fin. Chaque lieu visité et chaque rencontre du détective sont prétextes à des flashes-back sur le passé de France. Mais ce système, loin de stimuler le film, de le relancer par la confrontation de ses deux scénarios (la fuite de France et la quête de Luigi), n’en rend que plus évidente l’artificialité, ce côté poseur et forcé, pour finalement l’alourdir considérablement – voir l’omniprésence de la voix off du détective ou ses interviews des parents et amis de France filmées à la manière d’un reportage TV, presque d’un reality-show.

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En reprenant un peu la trame d’En avoir (ou pas), Lætitia Masson essaie visiblement de se rapprocher d’un cinéma à la fois romanesque et déconstruit, avec des poussées de romantisme, qui mêlerait le brut à l’enluminure, à la poursuite d’une mise en scène plus «musicale», un cinéma où la représentation se perd et est à reconquérir en permanence, un cinéma un peu puzzle, dont il faut assembler les morceaux. C’est son sujet, c’est aussi la direction que prend sa mise en scène, mais celle-ci trébuche et le désir de faire sens quitte à souligner sans cesse (le discours sur le commerce et l’amour, vague réminiscence de Godard) mêlé à un nombre impressionnant de fausses bonnes idées (les ralentis, les filtres, la caméra hystérique, jusqu’au finale filmé en vidéo numérique – plutôt Winterbottom, pour le coup) rend l’ensemble pour le moins indigeste. Le film semble constamment chercher son énergie, son rythme, partout sauf là où ils résident de la façon la plus évidente : chez ses acteurs.

Mais Lætitia Masson ne les oublie pas toujours et, parfois, l’espace d’un instant, quelque chose de très fort se passe qui conduit à beaucoup lui pardonner, alors même que ses personnages – à commencer par celui qu’interprète Sandrine Kiberlain dans sa fuite solitaire de résistante qui se rêve libre – peinent la plupart du temps à exister, perdus dans ce film aux airs de patchwork disgracieux. Mais, telle une chanson surproduite où des mélodies magnifiques se révèlent soudain à nu, A vendre regorge de richesses, qui ne sont pas dans les pseudo fulgurances de la mise en scène. C’est, dans la plus belle scène du film, Sergio Castellitto qui se rend chez son ex-femme (Mireille Perrier, qui nous manquait), l’observe par la baie vitrée, puis entre, une bouteille de vodka à la main, s’installe, demande pathétiquement «un Miko», puis cherche à l’embrasser ; elle reste hésitante, réticente mais immobile, comme spectatrice d’un retour de son passé. C’est aussi Sandrine Kiberlain qui danse, au petit matin, dans une boîte de nuit déserte, avec Jean-François Stévenin, sur une chanson de Johnny Hallyday («Qu’on me donne l’envie !») ; deux solitaires s’abandonnent, se cherchent, la caméra les perd de vue, ne parvient plus à les cadrer, les retrouve – encore une fois, tout un passé remonte à la surface, sur les visages et dans le mouvement de ces corps maladroits. C’est, plus simplement, Aurore Clément qui épluche des légumes rageusement, Roschdy Zem qui poursuit Sandrine Kiberlain dans la rue, ou la démarche pataude de Sergio Castellitto, ou le ton de la voix de Chiara Mastroianni, ou Sandrine Kiberlain, en jogging, qui reprend son souffle après un tour de terrain. La liste serait sans fin de ce que le film offre de précieux malgré ses défauts eux aussi innombrables. A vendre est long, fastidieux, lassant, la beauté doit se mériter, se dit-on, et puis soudain elle se donne, et on n’en revient pas. On ne peut pas aimer ce film de façon vraiment rationnelle mais, si les détails sont ce qui compte, on peut en tomber amoureux, bêtement, une fois de plus.

(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°527, septembre 1998)

A vendre (1998) de Lætitia Masson

Erwan Higuinen

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