En 1950, Winchester 73 marque la rencontre d’Anthony Mann avec James Stewart. Ensemble, ils tourneront une série magistrale de cinq westerns, à la fois sommets de l’ère classique du genre et lieu de son basculement dans le cinéma moderne. Très codifié, le western recèle à l’époque un certain nombre de passages obligés que Mann emprunte sans peine. Conscient de ce que ces motifs peuvent avoir de conventionnel, il les traite cependant avec sincérité, sans prise de distance superflue. André Bazin louait pour cette raison ses « westerns romanesques », antidote à la tentation du « sur-western », ce « western qui aurait honte de n’être que lui-même et chercherait à justifier son existence par un intérêt supplémentaire ». Anthony Mann, lui, prend le genre à bras le corps pour tourner « les plus beaux vrais westerns » de l’époque.
Premier de la série, Winchester 73 est encore imprégné de l’esthétique du film policier dont Mann était devenu un maître. Il est entièrement bâti autour de la carabine Winchester remportée par James Stewart lors d’un concours de tir et immédiatement dérobée. Le récit explore de nouveaux lieux et accueille de nouveaux personnages parallèlement aux changements de propriétaire de l’arme, objet d’une convoitise dont Stewart, héros ambigu, n’est pas exempt. Derrière la poursuite de la Winchester se dissimule une autre quête, celle de la justice ou de la vengeance couple difficilement séparable chez Mann , car le frère de Stewart, premier voleur de l’arme, est aussi le meurtrier de leur père adoptif.
Parfois tenté par l’abstraction, le film demeure pourtant très physique. La nature est habitée par les protagonistes en souffrance, au corps marqué et au visage souvent grimaçant, de ce drame sombre et violent.
Par la suite, Anthony Mann tournera encore des westerns, dont le très beau L’Homme de l’Ouest (1958) et La Ruée vers l’Ouest (1960), saga mal-aimée qui gagnerait à être redécouverte, mais qui ne retrouve jamais la perfection de la série inaugurée par Winchester 73.
(Paru dans Libération du 9 avril 1997)
Winchester 73 (The Gay Divorcee, 1950) d’Anthony Mann