L’Ange des maudits

RanchoNotorious

L’Ange des maudits commence comme beaucoup de films s’achèvent : par un baiser. L’homme est un cow-boy au vrai sens du terme, c’est-à-dire avant tout un travailleur aux mains calleuses. La femme, qu’il doit épouser huit jours plus tard, tient une boutique. Mais leur histoire (banale) est brisée net par l’arrivée de deux hors-la-loi : elle sera violée et tuée ; il voudra se venger.

Cette violence paraît surgir d’une autre fiction, de la légende de l’Ouest, donc du western comme genre. Le personnage de l’homme ordinaire en quête de vengeance (déjà rencontré chez Lang, notamment dans Fury) devra s’informer sur cette légende en accumulant les témoignages qui prennent la forme de flashes-back instructifs. Puis il pourra pénétrer dans cette fiction et en devenir un personnage, car, dans le cinéma de Fritz Lang, pour combattre un ennemi, il faut commencer par lui ressembler. Notre homme sera donc lui aussi un hors-la-loi. Le film le montre devenu tireur d’élite mais fait l’impasse sur son apprentissage, preuve qu’il a subitement changé de fiction, donc de rôle, même si son histoire passée reste sous-jacente.

Le récit, ponctué par une chanson qui commente ou annonce l’action et dont le meilleur équivalent est le chœur antique de la tragédie grecque, se concentre sur la recherche du meurtrier parmi les malfaiteurs du ranch tenu par Altar Keane (Marlene en femme fatale vieillissante) et Frenchy Fairmont (Mel Ferrer, chef de bande dont la noblesse décatie annonce l’aventurier de Moonfleet). La suspicion culmine lors d’une scène où Marlene chante: en montage rapide défilent les visages de tous les hommes présents. De l’interrogation initiale (qui est le coupable ?) on passe vite à l’impression que ce pourrait être n’importe qui, donc que personne n’est vraiment innocent. Cette question de la culpabilité, omniprésente chez Fritz Lang (de M le maudit à L’Invraisemblable Vérité), sort renouvelée du travail sur le genre, dans ce western romanesque qui intègre à merveille le pessimisme langien.

(Paru dans Libération du 15 mai 1997)

L’Ange des maudits (L’Ange des maudits, 1953) de Fritz Lang

Erwan Higuinen

Un commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.