Tourné en 1953, Règlement de comptes (The Big Heat) fait partie de ces séries B qu’enchaîne alors Fritz Lang à Hollywood, mais qui sont aussi des sommets de mise en scène, le système langien y étant souvent poussé jusqu’à l’épure. Le film raconte l’histoire de Dave Bannion (Glenn Ford), policier intègre en lutte contre le gang qui domine la ville et dont la femme est morte dans un attentat qui lui était destiné. Désavoué par ses supérieurs corrompus, Bannion quitte la police et se retrouve seul, uniquement guidé dans son élan par sa soif de vengeance.
Si l’on peut voir en lui une sorte d’ancêtre de Dirty Harry, le personnage de Bannion est avant tout un homme ordinaire dont la vie a brusquement basculé, à l’instar des « héros » de Fury et de L’Ange des maudits, eux aussi lancés dans une vengeance toute instinctive. Ainsi, et c’est là le pessimisme fondamental de Fritz Lang, tout se passe comme s’il y avait en chaque individu un potentiel de criminalité et de pure violence prêt à s’exprimer en fonction des circonstances. Cette vision se révèle d’autant plus troublante que, si le filmage demeure relativement neutre, tout concourt néanmoins, dans la mise en scène classique de Lang, à l’identification du spectateur à ce personnage qui a perdu tous ses repères.
Face à lui, la société paraît « fermée », comme accaparée par un accord des puissants, des gangsters à la police, en une projection à plus grande échelle de l’organisation de la pègre dépeinte par Lang dans M le maudit. Pourtant, cette impression n’est pas totalement juste : Bannion peut compter sur d’autres policiers et, surtout, sur la maîtresse d’un homme du gang, autre victime qui devient son alliée et qui figure un reste d’humanité dans cet univers si noir. C’est d’ailleurs ce qui le sauvera et le conduira à reprendre son rôle social, c’est-à-dire à se comporter à nouveau en policier. Lang clôt alors son film sur un retour à la vie ordinaire, happy end très relatif qu’il donne à l’un de ses films les plus sombres.
(Paru dans Libération du 3 juillet 1997)
Règlement de comptes (1953) de Fritz Lang