Vétéran à la filmo pléthorique, George Marshall fait partie de ces artisans d’Hollywood dont la production, étrangère à la notion d’auteur, mérite l’intérêt en terme de genres ou pour une relecture de l’histoire du cinéma américain selon la « politique des acteurs » chère à Luc Moullet. Depuis son premier film sonore (Les Sans Soucis, un mélo burlesque de 1932 avec Laurel et Hardy), Marshall se singularise néanmoins par une curieuse tendance au mélange des genres à coups de comédies militaires et westerns musicaux.
Tourné en 1939, Femme ou Démon est sans doute son meilleur film. Il met en scène James Stewart débarquant, pour y devenir shérif-adjoint, dans une Sodome de l’Ouest dominée par Marlene Dietrich, semi-prostituée flamboyante acoquinée au truand du coin. Marshall dépeint cette communauté à la dérive en respectant les codes du western tout en y introduisant une dose de comédie sans tomber dans la parodie : il s’agit plutôt de pousser un peu plus loin l’humour inhérent au genre (généralement confié aux seconds rôles) pour une sorte de distanciation à la marge sans réellement contaminer le centre du récit.
Le personnage de Stewart, qui cherche à exorciser son passé, préfigure, en nettement moins torturé, les rôles qu’il tiendra plus tard chez Anthony Mann. Mais, voulant rompre avec la violence originelle (avant de devoir y revenir) au profit de la loi, il annonce surtout la problématique que John Ford développera à travers son opposition-collaboration avec John Wayne dans L’Homme qui tua Liberty Valance (1962). Quant à Marlene Dietrich, son rôle de reine de saloon est l’ancêtre de celui qu’elle tiendra dans L’Ange des maudits (1952) de Fritz Lang : même scène où elle chevauche un type au cours d’une vague orgie (en flash-back chez Lang), même sacrifice pour sauver l’homme qu’elle aime de la balle qui lui était destinée. Autant de raisons de voir en Femme ou démon un film plus « important » qu’il n’y paraît au premier abord.
(Paru dans Libération du 4 octobre 1997)
Femme ou Démon (Destry Rides Again, 1939) de George Marshall