Sur la scène, le groupe achève sa chanson. La bière à la main, Mick et Alan observent le public. Alan a repéré deux types avec qui ils ont un vieux compte à régler. « Mais je voulais danser avec cette fille », proteste mollement Mick, avant de suivre son ami. Ils rejoignent les deux types, se battent, etsortent vainqueurs du combat. Le lendemain, Mick passe un entretien d’embauche, avec son cocard. Et restera au chômage. Tout le film est là. Tout Ken Loach, même. En 1981, dans l’Angleterre thatchérienne, Loach livre avec Regards et sourires l’un de ses plus beaux films. Du filmage proche du documentaire, à l’attention portée aux personnages en passant par le côté militant, il n’y a rien là qui puisse surprendre. Mais Regards et sourires révèle aussi un autre Ken Loach, un styliste, qui utilise à merveille la profondeur du sobre noir et blanc de son chef op’ Chris Menges.
Dans ce film, il n’y a pas d’issue. Les personnages sont comme pris au piège. D’autant qu’il suffirait vraiment de peu pour qu’il fasse bon vivre. Loach filme les maisons d’ouvriers, les boîtes de nuit ou les rues mal éclairées, non comme un enfer, mais comme des lieux habités, des lieux vivants, même si la vie est triste.
Et c’est finalement un équivalent de la pop anglaise qu’il nous offre, de ces chansons d’autant plus entraînantes qu’elles sont mélancoliques (et inversement). Loach filme cette Angleterre que chantèrent les Kinks, et que chante aujourd’hui Pulp, où l’existence frôle facilement le pathétique, mais où l’on peut se sentir, même quelques minutes, le roi du monde. Loach accumule les scènes où tout va (provisoirement) bien. Un garçon et une fille s’aiment, mais la mère de la fille les surprend au lit. Un autre garçon s’engage dans l’armée pour fuir le chômage, il gagne de l’argent, sa mère est fière de lui. Mais, en Irlande, il a vu et commis des horreurs.
Dans Regards et sourires, à chaque éclaircie succède un nouvel orage. En attendant la prochaine éclaircie. Et le prochain orage.
(Paru dans Libération du 28 août 1996)
Regards et sourires (Looks and Smiles, 1981) de Ken Loach