Family Life

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C’est une famille comme les autres. Une famille anglaise vivant dans la banlieue ouvrière de Londres, le genre d’endroit qui fascinera toujours ceux qui n’y ont jamais mis les pieds. Il y a le père, la mère et la fille, Janice (Sandra Ratcliff que, ne serait-ce que par principe, on trouvera magnifique). La fille aînée, elle, s’en est sortie (de la famille). Janice vit mal. Et personne ne comprend, surtout pas ses parents qui « l’aiment », qui l’ont « bien élevée ». Comme elle l’explique à son psychiatre, elle a pourtant eu « une enfance heureuse ». Mais aujourd’hui, elle est « mauvaise ».

Family Life, troisième film de Ken Loach depuis son passage de la télé au cinéma, a profondément marqué Cannes lors de sa présentation en 1972. En premier lieu, le film illustre les théories de l’antipsychiatrie, qui visait à rompre avec la psychiatrie classique en portant une plus grande attention aux facteurs sociaux de la « maladie mentale ». Pour résumer, l’écoute et le dialogue contre les tranquillisants et les électrochocs. Ronald D. Laing, l’un des papes du courant, a d’ailleurs participé à l’élaboration du film et, avant, de la pièce de théâtre dont il est tiré. Mais ce côté « film à thèse » n’est pas forcément le principal intérêt de Family Life, qui s’affiche avant tout comme le « familles, je vous hais » de Ken Loach, l’histoire d’une jeune fille qui ne peut tout simplement pas exister, étouffée par des parents qui ne veulent que son bien, c’est-à-dire qu’elle vive comme eux.

A priori, l’utilisation de comédiens amateurs ou peu connus, de véritables schizophrènes et d’un vrai médecin inciterait assez à voir en Family Life une illustration de la bonne vieille théorie du cinéma comme enregistrement. Sauf que pas seulement. L’alternance de scènes hospitalières et familiales rompt en fait largement la linéarité du récit, qui mêle allégrement le présent et le « comment on en est arrivé là ». Ce qui ne fait que renforcer l’impression que, finalement, tout est déjà perdu, que le piège se referme, inexorablement.

Reste juste à s’arrêter sur une scène, étincelle de vie avant l’extinction définitive des feux. Janice décide, avec son ami Tim, de repeindre en bleu le jardin de ses parents. Des nains de jardin tristement monochromes aux arbres, rien ne leur échappe, avant que Tim et Janice ne se poursuivent l’un l’autre, toujours armés de leurs bombes de peinture. A son retour, le père de Janice, révolté, se précipite dans sa chambre. Devant son incompréhension, elle éclate de rire. A défaut de hurler, on rit aussi.

(Paru dans Libération du 21 août 1996)

Family Life (1971) de Ken Loach

Erwan Higuinen

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