J.R., Starsky et Hutch, McGyver ou Tony Micelli n’avaient que faire des jeux vidéo. Mais les temps ont bien changé et, aujourd’hui, ces derniers sont omniprésents dans les séries télé américaines. Pour caractériser un personnage, détourner ses règles et son esthétique ou, encore très souvent, souligner d’une manière un rien racoleuse les risques que ce médium démoniaque fait courir à la jeunesse.
Dans les séries télé américaines, le jeu vidéo est devenu une activité presque normale. Le placement de produit est l’une des premières explications de sa visibilité croissante : lorsque le profil des fans d’une série rejoint celui des amateurs de jeux, fabricants de consoles et éditeurs n’hésitent plus à sortir le chéquier pour que leurs créations s’invitent dans le salon de nos héros de sitcom favoris. L’évolution est aussi générationnelle : il n’y a au fond rien de bien étonnant à apercevoir, au détour d’un épisode de How I Met Your Mother, Barney et Marshall se défiant sur une Xbox 360. Ce qui aurait été vraiment surprenant, étant donné l’âge des personnages (un peu moins de 30 ans au début de la série, un peu plus aujourd’hui), c’est qu’il n’y soit jamais question de jeu vidéo. Tout n’est pourtant pas gagné sur la route de la respectabilité et les visions caricaturales restent nombreuses, en particulier dans les séries policières. Sans parler de quelques petites erreurs formelles qui feront toujours sursauter le gamer. Ainsi de ces scènes, fréquentes, où quelqu’un, censé être en train de jouer, martèle les boutons de sa manette d’une manière totalement aberrante. Ou des images de jeux fictifs dans lesquelles le point de vue sur l’action (le héros est de face, la séquence est découpée comme un film) apparaît difficilement compatible avec une expérience interactive, comme si certains auteurs de séries ne savaient tout simplement pas à quoi ressemble un jeu vidéo. Mais, là, on cherche peut-être la petite bête.
Geek power
Ces dernières années, les geeks ont pris le pouvoir. Enfin, peut-être pas encore tout fait, mais des coulisses ils sont passés à la périphérie de certaines séries, puis carrément au centre. Et leur passion pour le jeu vidéo a suivi le même trajet. A chaque série ado son ou ses geek(s) magnifique(s). Dans Newport Beach, c’est à Seth Cohen que revient ce rôle. Gamer mais aussi fan de cinéma, de comics et de rock indé, il est l’un des personnages les plus touchants de la série. Et un grand amateur de GTA ou de Dynasty Warriors – qui, la preuve en est faite, peuvent aussi envoûter les garçons sensibles. The Big Bang Theory pousse les choses plus loin, mais sous un angle comique. D’un épisode à l’autre, on peut voir ses héros jouer à World of Warcraft ou Mario Kart Wii, se lancer en trio dans une reprise d’un morceau des Red Hot Chili Peppers sur Rock Band, se défier à Wii Bowling ou se féliciter que la maman de l’un d’entre eux lui ait envoyé sa vieille Nintendo 64, ce qui lui permettra de reprendre les aventures de Mario là où il les avait laissées en 1999. Et quand un cambriolage a lieu dans l’appartement, la liste des consoles et des jeux disparus qu’ils dressent à un policier semble interminable.
Chuck (qui, comme Newport Beach, est l’œuvre de Joss Schwartz) est un autre exemple de série authentiquement geek. Sa fixation ludique apparente : Call of Duty 4– avec un peu de Black Ops en passant, pour une scène d’interrogatoire de la saison 4. Dans Chuck Versus the First Date (Espions malgré tout, 2008), Morgan, le meilleur ami du héros tiraillé entre sa vie de roi de vendeur d’ordinateurs et celle d’agent secret depuis qu’une précieuse base de données s’est trouvée implantée dans son cerveau, établit un plan de combat imparable pour une partie de Modern Warfare. Chuck s’en inspirera pour se tirer d’un mauvais pas. Plus que l’idée que les jeux vidéo nous apprennent des choses utiles dans la vie réelle, c’est la contamination réciproque du réel et du jeu, leur fusion dans un imaginaire partagé qui est exaltée ici. Avec une bonne dose d’ironie. Celle, peut-être, dont ont fait preuve les créateurs de Community quand ils ont décidé de baptiser Modern Warfare le génial épisode de la saison 1 (2010) dans lequel une compétition de paint-ball dégénère à l’université. La même sitcom ira encore plutôt dans sa saison 3 avec l’épisode Digital Estate Planning bourré de références vidéoludiques (Zelda, Mario, Mega Man…) et se déroulant presque intégralement dans un RPG multijoueurs à l’esthétique 8 bits-16 bits dans lequel les personnages dirigent leurs doubles pixellisés.
Mais les gamers ne sont pas seulement de nouvelles stars. Parfois, ils se révèlent aussi de vrais héros. Dans NCIS, Timothy McGee, alias « le Roi des Elfes » dans son MMORPG préféré, fait régulièrement profiter l’équipe de ses talents en informatique. Personnage un rien naïf, il aura l’occasion, dans l’épisode Kill Screen (Game Over, 2011), de rencontrer l’une de ses « semblables » : une reine des jeux en ligne. « Vous détenez pratiquement tous les records », s’enthousiasme-t-il devant la blonde Maxine. L’intrigue, à base de programme pirate caché dans le code du jeu Fear Tower 3 et destiné à pirater le Pentagone, culminera dans l’infiltration d’un bâtiment par Gibbs, chef du NCIS, que McGee guidera grâce au plan des lieux aux faux airs de tableau de Pac-Man qu’il scrute sur un écran géant.
Le futur, le passé
Quand X-Files s’intéressait aux jeux vidéo, ce n’est pas à moitié. Pour écrire First Person Shooter (Maitreya, 2000), le producteur Chris Carter qui en était aussi le réalisateur avait fait appel à William Gibson et Tom Maddox, maîtres du roman SF cyberpunk. Venu enquêter sur la mort d’un joueur en plein test d’un jeu de réalité virtuelle (équipé de lunettes et bougeant « pour de vrai », le joueur croit évoluer dans un autre monde) en cours de développement, Mulder s’y trouve aspiré par le jeu – son corps même a disparu. Scully viendra heureusement à son secours et, après quelques échanges de coups de feu (y compris contre un tank dans un village de western), les agents du FBI pourront revenir à leur vraie vie non sans avoir percé le mystère de l’apparition dans le jeu d’une séduisante tueuse qui n’avait rien à y faire. S’il s’autorise quelques emprunts à l’imagerie et aux logiques du jeu vidéo, l’épisode s’amuse surtout à confronter Mulder et Scully aux problématiques de Matrix sorti en salles l’année précédente et qui s’inspirait justement des romans de Gibson. Cet étonnant First Person Shooter possède aussi un intérêt « historique » : ce qu’il met en scène, c’est le futur du jeu vidéo tel qu’on pouvait l’imaginer en l’an 2000 – ou, pour être honnête, peut-être plutôt un peu avant.
Dans les séries, le jeu vidéo est cependant parfois aussi quelque chose qui revient du passé pour caresser la fibre nostalgique (et réveiller de vieilles obsessions) chez les personnages trentenaires. Friends et Seinfeld s’y sont toutes deux essayées et, curieusement, avec le même accessoire : la borne d’arcade des années 1980. Pour Friends, c’est Ms Pac-Man qui fait soudain son apparition au milieu du salon de Chandler et Monica dans un épisode de la saison 12, The One Where Joey Dates Rachel (Celui qui passait une soirée avec Rachel, 2002). Et si la surprise était destinée à la jeune femme dont ce fut autrefois le jeu préféré, c’est Chandler qui y excellera. Après huit heures de Ms Pac-Man et au prix d’une inquiétante crispation de ses mains, il remplace tous les noms du tableau des scores par une fine collection de grossièreté. Qu’il faut absolument faire disparaître avant l’arrivée dans l’appartement du fils de Ross. Et comme le leaderboard ne s’efface pas quand on débranche la borne, la seule solution est de battre suffisamment de fois les records de Chandler – la chute de l’histoire, que l’on ne dévoilera pas ici, est assez piquante.
C’est étrangement à un problème proche que se trouve confronté George Costanza dans la neuvième et dernière saison de Seinfeld (The Frogger, La Grenouille, 1998). A ceci près que le but y est exactement inverse : préserver les traces des exploits passés dudit George sur Frogger alors qu’il vient, bien des années après, de retrouver et d’acheter la borne sur laquelle il avait passé tant de temps. Comment la déplacer sans risquer de faire disparaître ses initiales qui occupent toujours la première place du classement ? Un système de batterie – car, ici, débrancher la machine pourrait être fatal – est utilisé pour un résultat, Seinfeld oblige, évidemment catastrophique. Mais c’est surtout la séquence montrant une tentative de traverser la rue en poussant la borne qui restera dans les mémoire. Vue aérienne, voitures colorées, mouvements saccadés et bande son reconnaissable : le très névrosé George est devenu la grenouille de Frogger. Le jeu vidéo devient un modèle formel en plus d’un ressort scénaristique. « Game over » seront les derniers mots de Jerry Seinfeld.
Déviances et décadence
La pratique du jeu vidéo est souvent le signe d’un écart avec les normes sociales, dans un registre comique ou dramatique. Comment interpréter le fait que, dans Weeds, la mère de famille qui est aussi dealeuse d’herbe passe à l’occasion du temps sur sa Nintendo DS dans la saison 1 de la série, puis sur PS2 dans la suivante ? Serait-ce un symptôme de sa difficulté à tenir son rôle supposé ? Dans Mon oncle Charlie, les consoles font aussi des apparitions régulières et, si c’est le jeune Jake qui les apprécie (jusqu’à manger ses céréales du matin sans les mains pour ne pas lâcher sa portable), ne faut-il pas aussi faire le lien avec l’immaturité de son oncle alcoolique et érotomane ? Dans 30 Rock, en tout cas, les choses sont claires. « A une époque, mon mari jouait à Halo, expliquait en 2007 Tina Fey, scénariste et actrice principale de la série, au site IGN. Il faisait venir toute une bande de scénaristes de Saturday Night Live. Ils avaient ce truc où ils reliaient trois ou quatre télés dans mon appartement, sur des tables roulantes, et ils jouaient. Et devinez ce qui s’est passé ? J’ai eu un bébé. Ça a tout arrêté. » Dans la première saison de 30 Rock, Halo 3 est le jeu auquel s’adonne le boyfriend répugnant de Liz Lemon (alias Tina Fey), le soir, alors qu’elle rentre du boulot – elle s’endormira sans qu’il interrompe sa partie. Dans le dernier épisode de la saison 5, Respawn (Drôle de normalité, 2011), place à Halo Reach. Les scénaristes de l’émission de télé qui est au centre de la série décident de commencer leurs vacances par un deathmatch géant. Le premier qui se fait tuer a perdu. Du coup, tous préfèrent se suicider et renaître. La partie semble ne jamais devoir s’achever. Le secret pour ne jamais lâcher la manette : porter une couche.
Le même petit truc pas très glorieux est utilisé par un gamer de haut niveau dans un épisode de la saison 11 des Experts : Las Vegas, Hitting for the Cycle (Quarté gagnant, 2011). C’est la victime obèse, adepte des MMORPG (sauf qu’à l’écran, ce serait plutôt un TPS) et du sport électronique à domicile comme dans des boîtes de nuit en surchauffe. A son niveau, il serait irresponsable de perdre de précieuses minutes pour une pause pipi. L’hypothèse d’une mort après une violente crise d’épilepsie provoquée par des explosions de grenades à l’écran sera écartée : l’origine du drame se trouve dans une banale histoire de rivalité féminine. Le gamer maladif est un objet de désir – ça, au moins, c’est nouveau.
Mais il y a plus sordide. L’une des pires représentations de joueur à ce jour se trouve dans la saison 12 de New York Unité Spéciale, au début de l’épisode Bullseye (Compromissions, 2010). « Laissez-nous tranquille, on est au niveau 20 ! » hurlent, vautrés dans leurs fauteuils respectifs, l’homme et la femme en surpoids et à l’hygiène douteuse aux flics venus les interroger sur leur fille victime d’un viol. Le charmant couple a perdu tout contact avec la réalité. D’ailleurs, à l’évocation de leur enfant, c’est à celui qu’ils ont dans leur jeu en ligne favori que pense le père indigne. Pour le coup, les scénaristes ne se révèlent pas beaucoup plus fins que le personnage qu’ils ont inventé et dont, sorti de cette scène grotesque, ils ne savaient apparemment pas trop quoi faire. On n’entendra plus parler du couple monstrueux de tout l’épisode.
A l’hôpital
Le docteur Gregory House est lui aussi, semble-t-il, un grand amateur de jeux vidéo. Dès le troisième épisode de la première saison de ses sarcastiques aventures médicales (Occam’s Razor, Cherchez l’erreur, 2004), on peut le voir jouer à Metroid Zero Mission sur sa GBA SP pendant ses consultations forcées. Partageur, il prêtera la console à une patiente. Plus tard, dans la même saison, le roi du diagnostic passera à la DS et à Metroid Prime Hunters dans l’épisode Mob Rules (Un témoin encombrant, 2005), l’utilisant même pour tester, grâce à ses effets sonores, les réactions d’un malade tombé dans le coma. Puis, deux saisons plus tard, ce sera au tour d’un petit autiste d’offrir sa PSP au bon docteur (Lines in the Sand, Dans les yeux, 2006). House, qui l’a guéri, est la première personne que l’enfant regarde dans les yeux. Renoncer à cette console sur laquelle il restait cramponné est-il un symbole de son ouverture au monde ? Ou un signe qu’il a reconnu en House l’un de ses semblables ? Quoi qu’il en soit, le jeu vidéo n’est nullement présenté comme une activité fondamentalement anormale. Ainsi, dans la saison 7, deux médecins devenus colocataires se font volontiers une petite partie de FPS avant d’aller se coucher. Et si, au début de Dying Changes Everything (Parle avec lui, 2008), on découvre House en pleine partie de Ninja Gaiden II sur une Xbox 360 apparemment « volée en pédiatrie » et dans la chambre d’un vieillard inconscient, c’est une séquence tout à fait dans la lignée de celles qui le présentaient, plus tôt dans la série, scotché à un soap opera télévisé. Le jeu vidéo est certes un signe supplémentaire de l’excentricité de House, mais ce qui fait d’abord sens ici, c’est qu’il soit pratiqué au travail et en milieu hospitalier.
Les choses sont un peu différentes dans l’épisode Epic Fail (Comme un chef, 2009). Le malade est cette fois un développeur dont la nouvelle création doit paraître trois mois plus tard. Et dont la représentation, avec casque de réalité virtuelle et mouvements pour de vrai (on se roule par terre en se débattant tellement l’attaque de chauve-souris est réaliste), tend à montrer que l’idée que les séries se font de l’avenir des jeux vidéo n’a pas énormément évolué pendant les presque dix années qui séparent Epic Fail de l’épisode First Person Shooter de X-Files. Tout juste peut-on noter, en observant les gestes des deux médecins qui s’essaient au jeu, que la Wii est passée par là. Le jeu en lui-même tient du TPS futuriste, avec un singe en armure et un humanoïde à tête reptilienne comme héros surarmés. Etrangement, les mouvements des lèvres des personnages en images de synthèse s’adaptent en direct aux paroles des joueurs – note aux vrais développeurs : voilà une piste pour les jeux de demain. Mais la scène la plus marquante est celle où, fiévreux, le game designer malade se croit subitement plongé dans sa propre création dont les décors viennent « repeindre » l’espace de l’hôpital comme une « skin » qui se poserait sur le réel. Pour lui, l’illusion se révèle parfaite, jusqu’au lancer de gobelet pris pour une grenade. L’effet est très réussi et la référence, pour une fois, en elle-même ludique.
La menace GTA
Mais attention à ne pas l’oublier : le jeu vidéo est aussi un terrible danger. Quel plus mauvais exemple pour la jeunesse innocente que l’infâme Grand Theft Auto ? La série de Rockstar Games a en particulier donné des idées (courtes, mais percutantes) aux scénaristes des Experts : Miami. Dans l’épisode Urban Hellraisers (Fin de partie, 2005), un braquage de banque a mal tourné. La police découvre rapidement que les criminels recréent les séquences d’un jeu nettement inspiré dudit GTA mais qui se voit gratifié d’étranges effets rétro avec attribution de points et montées de niveau accompagnées de sons rappelant étrangement celui des pièces ramassées par Mario. Tous les clichés y passent, de la mauvaise influence des jeux vidéo abordée de la manière la plus simpliste qui soit (le criminel reproduit scolairement les scènes violentes du jeu) à la menace de l’addiction (après 70 heures de jeu sans s’arrêter, un garçon est mort devant son écran qui lui répète sans cesse « You’re dead », vous êtes mort). Dommage, parce que confronter les enquêteurs à un jeu dans lequel ils pouvaient trouver des indices des crimes à venir n’était pas la moins intéressante des idées de scénario.
Dans New York : Unité Spéciale aussi, GTA fait des ravages. Rebaptisé Intensity dans l’épisode Game (Jeu interdit, 2005), le jeu Rockstar y apparaît sous une forme très schématique, essentiellement à travers une séquence dans laquelle le joueur renverse une prostituée en voiture avant de l’achever à coups de pieds sur le trottoir et de lui dérober son argent. Une scène que certains ont jugé excitant de reproduire dans la réalité. « De nombreux psychologues pensent qu’il y a corrélation entre les crimes violents et la violence dans les médias, en particulier dans les jeux », souligne le docteur Huang, expert médical de la Special Victim Unit. « Les jeux remplissent un vide. (…) Je ne pense pas qu’un jeu puisse pousser quelqu’un à commettre un meurtre », déclarera-t-il plus tard. L’affaire n’est pas simple, et c’est la bonne surprise de cet épisode qui, grâce notamment au concept de la série qui fait se succéder l’enquête policière et le procès, tient moins de la condamnation du jeu vidéo que du débat, avec échange de points de vue contraires, sur ses effets éventuels. On y parle easter eggs. On laisse entendre qu’il y a un problème dans le fait que des enfants aient accès à des jeux qui ne leur sont pas destinés. L’éditeur paraît un rien cynique, un ex-programmeur devenu auteur de mods semble totalement largué. On discute addiction à la barre, en soulignant que tuer dans un jeu et dans la vraie vie, ce n’est pas la même chose. Et l’ennemi ne tarde pas à devenir l’avocat de la défense qui cherche à utiliser la mauvaise réputation des jeux vidéo pour nier la responsabilité de ses clients. Pas bête, même si l’on pourra toujours ergoter sur la manière précise dont le jeu est représenté.
Sus aux mondes virtuels
Mais GTA n’est que l’un des grands démons vidéoludiques. L’autre, c’est évidemment le monde en ligne, façon MMORPG ou Second Life. Dans l’épisode Avatar (2007) de New York Unité Spéciale, ce dernier prend le nom transparent de « L’Autre Univers ». C’est une vision d’apocalypse, un monde où des étudiantes en art se déguisent en prostituées pour vendre leurs charmes à des hommes pervers scotchés à leur écran – la séquence où l’on peut en voir quelques uns attendre de moins en moins patiemment l’ouverture d’un club de strip-tease virtuel en dit beaucoup sur leur personnalité supposée. L’une de ces jeunes femmes a disparu. Les détectives utiliseront son avatar pour traquer l’homme qui l’a enlevée. Et qui se révèlera un récidiviste dégoûté à la vue de sa première victime miraculeusement retrouvée vivante : le temps a passé, elle a gagné quelques rides, n’est plus l’adolescente dont il était, assure-t-il, « tombé amoureux ». Alors que, dans le monde virtuel, les jeunes filles ne vieillissent pas.
Chez Les Experts : Manhattan, Second Life fait une apparition dans Down the Rabbit Hole (Enquête virtuelle, 2007), épisode de la saison 7. Le cadavre d’une adepte du cosplay a été retrouvé. Son modèle : une star du fameux univers virtuel. « On ne court pas grand risque à dire que cette femme vivait par procuration à travers son avatar », note finement Mac Taylor, le patron de la police scientifique new-yorkaise. D’un réalisme très discutable – un combat de gladiateurs debout devant un mur où l’image est projetée et la rencontre d’un personnage de lapin qui sait où tout le monde se trouve dans le monde online ont de quoi laisser perplexe –, l’épisode flirte avec le grand n’importe quoi mais évite la condamnation cruche du virtuel. Ici, c’est aussi le lieu où un jeune homme gravement malade peut enfin être comme tout le monde. Un espace à la fois utopique et effrayant, et en tout cas digne d’intérêt.
« Ne sous-estime pas la complexité du monde des jeux en ligne. » Adressé à Kate Reed par son assistant, Leo, qui est lui-même un fervent adepte de World of Warcraft, le conseil sera d’abord moyennement pris au sérieux par l’ex-avocate devenue médiatrice de la série Fairly Legal (alias Facing Kate) dans l’épisode Ultravinyl (2011). Il faut dire que les deux responsables de guildes d’un fameux jeu en ligne qui se déchirent sont assez spéciaux : ils ne veulent négocier qu’en vidéo-conférence et par l’intermédiaire de leurs avatars, puis acceptent de le faire en chair et en os mais en envisageant de venir armés et pour finir, à l’heure du face-à-face, décrochent à peine de leurs smartphones. Kate parviendra à les raisonner en parlant leur propre langage, s’adressant à eux par leurs pseudos, leur intimant l’ordre de retourner se battre fièrement dans le jeu. Entre le garçon d’une vingtaine d’années et la trentenaires, rendez-vous sera pris pour un affrontement virtuel le soir même. Retour aux choses sérieuses, enfin.
Testeurs et développeurs
Mais le jeu vidéo n’appartient pas qu’à ceux qui le pratiquent. Et les séries télé s’intéressent aussi à ceux qui leur donnent naissance. A commencer par les développeurs dans l’épisode F.P.S. (Jouer n’est pas tuer, 2004) de New York Section Criminelle. Le duo de programmeurs à l’origine du jeu Blood Match dans lequel de musculeux guerriers barbares s’affrontent en ligne y est dans le collimateur de la police après le décès d’une joueuse. L’un d’eux, flirtant avec le cliché du nerd à lunettes, est obsédé par ses « nouveaux polygones » quand l’autre, qui a perdu une cinquantaine de kilos, a surtout envie de profiter de la vie. Ils ont suivi des chemins différents, ne sont plus en phase comme avant alors que leur association était le secret de leur succès – il n’est pas interdit de supposer que les scénaristes ont pensé à John Romero, à John Carmack et à l’histoire d’id Software. Entre eux, aussi, une femme, qui les sépare. Comme Yoko Ono pour les Beatles, hasarde un flic, soulignant l’analogie sur laquelle repose l’épisode : les développeurs de jeux, en tout cas dans leur représentation un peu datée (avant l’industrialisation à outrance et les budgets géants) sont les rock stars d’aujourd’hui. Et quand elles se brouillent, ça fait des étincelles. L’épisode ose aussi une version high-tech de l’alibi : se faire remplacer par un bot sur un jeu en ligne pour faire croire que l’on est bien tranquillement chez soi devant son ordinateur au moment du meurtre. Subtil.
Dans un épisode de la saison 3 des Experts : Miami baptisé Game Over (Jeu, test et mort, 2005), place aux testeurs. Le cadavre de l’un d’eux a été retrouvé dans une voiture accidentée. Son visage rappellera quelque chose aux gamers car l’interprète de cette malheureuse victime amputée d’un pied n’est autre que Tony Hawk. De fait, c’est sur les activités d’un studio spécialisé dans les simulations de skateboard que se concentrera l’enquête, laquelle ne tardera pas à montrer que l’industrie vidéoludique est parfois un univers impitoyable. Les testeurs se jalousent. Un programmeur peut passer 72 heures devant son ordinateur à tenter de corriger des bugs. La réceptionniste envoie des fleurs aux épouses et petites amies des employés du studio débordés – « Je les vois plus souvent qu’elles », assure-t-elle. C’est sans doute un peu caricatural, mais pas forcément mal vu. La meilleure idée de l’épisode réside dans l’utilisation de la motion capture pour « voir » une partie de la scène de meurtre. Equipé de capteurs, le malheureux testeur (Tony Hawk, donc) était dans le studio de mocap, où il venait d’enregistrer quelques figures, au moment où il a été frappé à coups de skate. D’où une vidéo très étrange où ne figure que la silhouette de la victime, équipée de marqueurs, mais pas celle de son agresseur. Les technologies du jeu vidéo deviennent un outil dont la police scientifique peut faire usage – à l’échelle des Experts, c’est une consécration.
Le dernier mot appartient à la variante Las Vegas de la même série. Dans l’épisode A Little Murder (Le Secret de la Joconde, 2002), un homme a été tué à la suite d’un différend entre cambrioleurs. L’arme a pour nom ZMover, dont le « Z » imprimé sur le cadavre signe le crime. Malgré son nom rappelant celui de la Xbox, on l’a tout de suite reconnue. Une forme cubique, une poignée pour s’en saisir et frapper efficacement l’adversaire : la GameCube est démasquée. Les séries télé n’en démordront pas : le jeu vidéo, c’est mortel.
(Paru dans IG n°22, octobre-novembre 2012)