Au cinéma, personne ou presque ne l’a vu. En version française, c’est dans une seule salle parisienne que Big Party s’est discrètement posé un jour de l’été 1999. Le mercredi suivant, un autre film l’avait déjà remplacé. On appelle ça une sortie technique : son avenir commercial supposé, c’était la vidéo. Ce qui lui va en fait assez bien. Au confluent du cinéma et de la sitcom, Big Party ressemble beaucoup à l’idée que l’on se fait (si l’on se fait ce genre d’idée) du film teenage ultime. Sur le petit écran, il se laisse regarder avec joie entre un John Hughes déjà vieux (Breakfast Club ou Une créature de rêve) et une rediffusion de Beverly Hills, entre Le Groupe et un clip d’Offspring, plus astucieux que les premiers, plus honnête que les seconds.
Mais de quoi est-il question, au juste ? La première séquence, c’est la remise des diplômes. La dernière, ce sera le départ à la fac (des couples se seront formés, d’autres se seront séparés, des retrouvailles auront eu lieu, etc.). Entre-temps, il y a une fête. Non, pas une fête : la fête. Générale, unique, terminale. La quasi totalité du film se déroule en une nuit, dans la maison (abandonnée par les parents) où se sont ruées toutes les tribus du lycée. Les sportifs et les fumeurs de joints, les rappeurs et les hard-rockeurs, les joueurs de foot et leurs pom pom girls enamourées, les filles en noir rebelles et les garçons qui regardent passer Jennifer Love Hewitt en bavant rêveusement. Sans oublier l’inévitable « nerd » (ou « geek », question de nuance), bon élève un peu hors du coup, voire franchement martyrisé, qui deviendra « populaire » le temps d’une nuit. Tous les archétypes sont là, personnages mais aussi situations emblématiques de ce mini-genre qu’est devenu le film de lycée. Tout est là, mais regroupé, concentré dans l’espace comme dans le temps. Les conversations sont des flashes-back ou des bande-annonces, on se presse dans ces plans qui semblent à la fois étendus et aplatis. Tout est là, à refaire, à reprendre, vite, très vite. Demain matin, le lycée sera dernière nous.
Mais si ce film, le premier du prometteur duo Deborah Kaplan-Harry Elfont, se distingue du tout-venant du film ado, c’est par son choix, non pas de dépasser l’exercice de style référentiel, mais de faire de ce dernier le moteur même de chaque séquence, et ce à tous les niveaux. C’est l’anti American Pie, si proche, si loin. Ces codes, ces règles, tout le monde les a intégrés. Ce ne sont pas seulement les interprètes du film mais leurs personnages mêmes qui jouent les rôles qu’on leur a confiés (dans la société lycéenne) ou qu’ils se sont choisis, serait-ce au prix d’une légère erreur d’auto-aiguillage (même un Blanc fan de rap ne peut apostropher un groupe de Noirs d’un sonore « Yo, niggas ! » sans s’attirer quelques ennuis). Ils jouent donc, essaient parfois d’échanger leur rôle avec celui du voisin de dancefloor, s’agitent et s’époumonent en quasi samplers sur des rythmes connus par cœur. Pour s’en libérer ? Surtout pas, quel intérêt ? Plutôt faire un tour de piste, flamboyant ou bouffon, avant qu’il ne soit vraiment trop tard. Il y a des airs familiers de karaoké dans Big Party, comme dans bien des bons films de « genres » américains d’aujourd’hui. On se repasse la scène où le nerd se prend pour Axl Rose et, cette fois, on chante avec lui ? Celle de la stripteaseuse déguisée en ange et du coup de fil à Barry Manilow ? On se repasse tout le film dans le désordre ?
(Paru dans Les Cahiers du cinéma, hors-série « Nos DVD », décembre 2001)
Big Party (Can’t Hardly Wait, 1998) de Deborah Kaplan et Harry Elfont