Mad Dog and Glory

MAD DOG AND GLORY

Depuis ce beau Mad Dog and Glory de 1993, on est sans nouvelles de John McNaughton. Et c’est dommage, car ce cinéaste, d’abord remarqué pour le très extrême Henry, Portrait of a Serial Killer, signait là un film étrangement mélancolique sur la solitude de quelques êtres jamais à la place qu’ils voudraient occuper, avec un art très sûr de la composition des plans, un rythme doucement irréel et un regard tendrement décalé, apte à saisir quelque chose comme le réveil de corps et de cœurs enfin prêts à battre à nouveau.

Entre film noir et comédie sentimentale, McNaughton brouille les pistes, n’ouvrant son film sur un meurtre sanglant que pour mieux enchaîner sur quelques flics endormis entre leurs bureaux. Et, parmi eux, Wayne, surnommé Mad Dog par dérision et interprété par un De Niro presque affaissé, qui semble condamné à traîner derrière lui le poids de ses frustrations, alourdi et comme absent. Wayne travaille la nuit, se rend sur les lieux des crimes où il prend des photos, va boire sagement un verre avec un collègue, puis rentre se coucher. Il n’est qu’un spectateur, face aux cadavres, à la télé ou à la fenêtre des voisins, pas spécialement un loser, juste un type un peu en retrait à qui il n’arrive rien, comme si le « héros » de Taxi Driver de Scorsese (qui produit Mad Dog and Glory), au lieu d’exploser, avait ravalé son énergie pour s’effondrer sur lui-même.

Face à ce flic qui se voudrait artiste amoureux, McNaughton place un mafioso-comique (Bill Murray, ce grand acteur méconnu) qui cherche un ami et s’improvise bonne fée en « prêtant » à Wayne une jeune femme (Uma Thurman) que celui-ci rejette d’abord comme un rêve auquel il refuse de croire jusqu’à ce que naisse un bel amour improbable entre ces deux paumés, un miracle pour la défense duquel Wayne va enfin se dresser. Et que McNaughton impose peu à peu, mine de rien, mais avec comme un reste de tristesse: chez ces désaxés, les blessures du passé ont laissé des traces.

(Paru dans Libération du 25 avril 1998)

Mad Dog and Glory (1993) de John McNaughton

Erwan Higuinen

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