Cowboy et Indien rêvent de posséder le tracteur de leur voisin Steven. Ils élaborent alors une stratégie imparable. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, ils bâtissent une discothèque en pleine campagne, où ne manquent pas de se ruer Steven sur son tracteur, son épouse Janine et les animaux de la ferme, qui se déchaînent illico sur le dance-floor. Lorsque l’âne (logiquement baptisé Ane, comme le cochon s’appelle Cochon et le coq, Coq) se pose au bar pour réclamer une bière, une trappe s’ouvre et nos deux héros le réceptionnent dans une caisse : il leur servira de monnaie d’échange pour délester Steven de son tracteur, qui a pour intérêt essentiel d’être rouge.
Voilà le genre d’histoire dont sont truffés les 20 épisodes (de cinq minutes) de Panique au village, œuvre des créateurs de PicPic le cochon magik et André le mauvais cheval, Stéphane Aubier et Vincent Patar, que diffuse Canal + depuis la semaine de Noël. Panique au village est une « série d’animation en 3D belge », nous annonce la chaîne. Mais qu’est-ce donc que de la « 3D belge » ? A en croire ces épisodes à mi chemin du cartoon domestique et de l’interlude bricolé, cela n’a pas grand-chose à voir avec la 3D américaine ou japonaise. A l’unisson de ses scénarios à la fois minimalistes (une idée fixe par épisode) et jusqu’au-boutistes (on la suivra aussi loin qu’il le faudra), la forme de la série découle d’un mélange de contraintes auto-imposées et d’audaces sans entrave.
Si l’on pense à Toy Story, ce n’est ni pour la technique ni pour le mode de récit, mais parce que dans des décors en carton stylisés, ce sont ici des jouets qui s’animent. Un cow-boy, un Indien, un cheval, un gendarme, un cosmonaute, un Robin des Bois, une fermière, de multiples animaux… Fixées sur des socles, ces figurines en plastique sont mises en mouvement image par image sans perdre leur rigidité d’origine, une raideur matérielle alors même que la série impressionne par sa souplesse narrative. Elles sont comme extraites d’un coffre à jouets et réunies sans considération aucune pour leurs univers d’origine (le western, entre autres) ou pour le rôle qu’elles y auraient tenu (ici, Indien et Cowboy sont deux gamins turbulents qui donnent bien des soucis à Cheval, lequel leur tient lieu de parent sévère). Au décalage entre les personnages et les mini-fictions bouffonnes dans lesquelles ils sont plongés s’en ajoute un autre lorsque interviennent les voix à la bizarrerie infantile idéalement approximative.
Cette histoire de jouets est d’abord une affaire d’appropriation de figures réduites en figurines, de récupération cinématographique presque par accident, sur le mode « on efface tout et on recommence ». Sur la grille usée à force de redites appliquées et/ou ironiques de Canal +, Panique au village, série mineure dans tous les sens du terme, prend des airs bienvenus de chansonnette pré-pop à peine moqueuse, comme un équivalent pour l’animation des Deschiens du temps où ils étaient bons (pendant une petite année, avant la victoire du radotage mesquin). Et offre de nouvelles perspectives à la création télé, qui à côté du post-moderne, a aussi de l’avenir dans le néo-primitif.
(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°575, janvier 2003)
Panique au village (2002-2003), série de Stéphane Aubier et Vincent Patar