Lunes de fiel (1992) de Roman Polanski, sur CinéCinéma Frisson
Grand film d’amour mal aimé, Lunes de fiel confronte deux couples qui se heurtent au cours d’une croisière : l’un est sans histoire, l’autre en a une folle à raconter. Submergé par les vagues du récit de la vie voluptueuse et haineuse de Peter Coyote et Emmanuelle Seigner, voici Hugh Grant, qui se fera doubler par sa moitié Kristin Scott Thomas à l’heure du retour au présent, lorsque l’action tentera de rattraper les fantasmes. Entre transports parisiens (la rencontre, le désir), jeux sadiens en appartement, confessions calculées et bouffées d’hyperréalisme eighties (pop music datée, minitel rose), le film avance en boucles magnétiques, qui s’enroulent et se déroulent sans cesse. Un couple vacille et explose en se frottant à l’autre, dont le film de Polanski, solennellement trivial, est le requiem fasciné. Et si Lunes de fiel valait Eyes Wide Shut ?
Il bidone (1955) de Federico Fellini, sur CinéCinéma Auteur
Moins connu que bien des Fellini qui lui sont inférieurs, Il bidone relate avec une sobriété implacable la chute d’un trio d’arnaqueurs minuscules dans la campagne italienne des années 50. Doucement, le film vogue de la farce au drame alors que les personnages font l’expérience de la honte, qui est double : voir leurs proches deviner leur « métier », croiser des escrocs de plus grande envergure. Car, déguisés en hommes d’église pour abuser les paysans crédules ou refourguant dans les stations-service des manteaux faussement luxueux, ils ne sont que des illusionnistes locaux, des entrepreneurs de spectacles au répertoire et au public limités. Les gestes se répètent, les mises en scène se font moins consciencieuses, les corps plus lourds, les regards voilés. Le temps a passé, la fête est finie, la tragédie devient possible. Fellini, lui, choisira de grossir.
Laurel et Hardy au Far West (Way Out West, 1937) de James W. Horne, sur Cinétoile.
Les meilleurs Laurel et Hardy, c’est connu, sont leurs courts métrages muets supervisés par leur créateur Leo McCarey (à qui CinéCinéma Classics rend d’ailleurs hommage ce mois-ci en cinq films indispensables). Mais il ne faut pas en déduire qu’après, c’est mort. Diffusé avec trois autres de leurs films, Laurel et Hardy au Far West fait partie de leurs bons longs, surtout parce qu’il ressemble aux courts. Produit par Stan Laurel, génie comique absolu (comme acteur, gagman, réalisateur), et réalisé par James Horne qui croise le duo pour la quinzième fois depuis 1929 (et le formidable Œil pour œil, tourné sous la direction de McCarey et présent sur le DVD de Laurel et Hardy au Far West), le film vaut moins comme récit suivi que pour ses créations, développements, reprises et télescopages de gags inspirés. Où s’épanouissent la maladresse admirablement chorégraphiée du duo, sa persévérance devant l’échec, ses montées de folie furieuse et son goût pour le désordre et la destruction capables de transformer tout acte rationnel en apocalypse burlesque. Rares sont ceux qui, aussi bien qu’eux, savent torturer des bretelles, une mule, un piano.
American Graffiti (1973) de George Lucas, sur CinéCinéma Premier
Si le teen movie n’est pas né avec American Graffiti, le film de George Lucas fait partie de ceux qui en ont posé les règles actuelles, et d’abord par la manière dont y passe (ou non) le temps. Tout se déroule au cours de la nuit à moitié arbitraire qui sépare l’adolescence (le lycée) de l’âge adulte, dont nul ne sait dans quel état (plus sage, plus fort, plus cool, plus misérable ?) elle va le recracher quand le soleil se lèvera. Le réalisateur est tourné vers le passé (sa jeunesse à Modesto, Californie) et les personnages vers l’avenir. Du coup, American Graffiti tient moins de l’œuvrette nostalgique que de la machine à voyager dans le temps – dans les deux sens. Un peu western (comme tout bon film de drague), franchement provincial (l’adolescence est une province), le film tient par sa musique, celle d’une radio vaguement pirate au DJ star fictif qui fait tenir ensemble les espaces et les temps. L’adolescence, c’est quoi ? C’est vivre en 1962.
Madonna à Lourdes (2001) d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu, sur France 2
Dans cet étonnant court métrage coproduit par le Centre Pompidou, les frères Larrieu promènent Hélène Fillière et une Vierge peinte en jaune autour de Lourdes. La jeune femme le dit d’emblée : elle cherche une place pour la statue. C’est aussi ce que semblent faire les cinéastes, qui la filment dans les rues, dans un hall d’hôtel, dans une boîte de nuit – cette scène est épatante. Leurs plans sont comme autant de tests : regarder ce que produisent ces apparitions toujours doubles (car la jeune femme en est une aussi, que la sculpture rend plus visible, comme mise à nu), essayer de trouver l’emplacement idéal. Les situations sont incongrues, mais la mise en scène est dépouillée et les perspectives, prodigieuses. Madonna à Lourdes est un petit miracle à ne pas laisser s’échapper.
(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°572, rubrique « Au fil du câble », octobre 2002)