En novembre et décembre 1989, Nanni Moretti a assisté, muni de sa caméra, aux réunions de plusieurs sections du Parti communiste italien, alors engagé dans un vaste processus de réforme qui allait notamment aboutir à son changement de nom. Mais, à ce moment, le PCI est « la cosa », la chose, on ne sait plus ce que c’est et, surtout, ce que cela va devenir, mais on se souvient de ce que cela a été. En une succession de plans fixes parfois interrompus par un écran noir, Moretti ne filme pas des discussions – ce sera le dernier plan de ce film d’une heure : la foule agitée et comme libérée – mais des prises de paroles successives, les orateurs étant plus ou moins à l’aise, certains déclamant d’un ton exagérément théâtral, d’autres ne décollant pas du texte qu’ils ont rédigé au préalable. Il n’y a pas de contrechamp sur les réactions du public : le plan est un, même si les voisins de l’orateur attirent parfois le regard. Le contrechamp, ce seraient plutôt les événements qui ont motivé ces prises de parole, les discours des dirigeants du parti, mais aussi les images (télévisées) de la chute du mur de Berlin et des manifestations dans les pays de l’Est, à l’automne 1989. Soit les images que tout le monde a vu, celles qui viennent avant. Moretti opère une inversion du rapport entre « acteur » et spectateur qu’instaure la télévision, en montrant ce qu’elle ne montre pas. Une seule fois, le dispositif est contourné. Dans la salle, un vieil homme révolté, debout au milieu du public, interpelle l’orateur qui, installé sur son estrade, se croyait à l’abri. Et c’est au tour de ce dernier d’être scandalisé : la règle n’a pas été respectée, son intervention n’a pas été protégée. Il y a toujours un contrechamp, une image qui manque. En comblant ce manque avec ce film qui s’inscrit chronologiquement (mais pas seulement) après Palombella Rossa, Moretti fait tout simplement son travail de cinéaste, celui que la télévision ne fera jamais.
En avant-programme est présenté Le Jour de la première de « Close Up », post-scriptum au Journal Intime de Moretti qui raconte, en sept minutes, les à-côtés de la première projection du film de Kiarostami dans la salle de cinéma que dirige l’auteur de La messe est finie. Nerveux, il donne ses instructions, souffle ses « répliques » à l’employée qui répond au téléphone, remanie l’ordonnancement des livres dans la partie librairie, contrôle les sandwichs du bar… Le court métrage s’ouvre et se ferme ironiquement sur l’annonce des recettes des grands succès du moment. Close Up n’en sera jamais, mais Moretti aura là aussi fait son travail : il aura montré le film de Kiarostami. Il aura surtout fait tout son possible pour que des gens viennent à sa rencontre, pour que quelqu’un soit là pour le voir.
(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°539, octobre 1999)
La cosa (1990) et Le Jour de la première de « Close Up » (1994) de Nanni Moretti