Si l’Occident possède ses Drôles de dames, le Japon a de quoi soutenir la comparaison avec Kei et Yuri, duo de justicières à la féminité débordante qui volent de mission en mission à travers la galaxie en ce XXIIe siècle qui les a vu naître. Héroïnes d’une multitude de séries télé, films d’animation et productions vidéo depuis 1985, les deux jeunes aventurières sont pourtant moins connues sous leur nom officiel d’« Anges de la galaxie » (ou « Lovely Angels », comme la télévision américaine avait ses Charlie’s Angels) que par un sobriquet moins flatteur : Dirty Pair.
Il faut dire que, si elles parviennent toujours à leurs fins, si les sombres projets des ennemis publics auxquels les confrontent sans relâche les scénaristes sont systématiques contrecarrés, l’affaire se règle rarement sans dégâts collatéraux. Tiens, la base spatiale a explosé. Oups, le vaisseau s’est écrasé. Kei et Yuri font preuve d’une belle constance dans la maladresse sans jamais se départir d’une solide inconscience – leur penchant pour les poses aguicheuses n’est décidément pas la seule chose qui les éloigne du redresseur de torts moyen.
Outre cette dimension burlesque et le goût discrètement transgressif pour la destruction qui l’accompagne, Dirty Pair se distingue par une tonalité joyeusement juvénile, ses deux héroïnes aux cheveux bleus et roses ne renonçant jamais à une bonne discussion de collégiennes, leurs volumineux flingues en main, avant de passer à l’attaque. Oscillant constamment entre le récit (à peu près) sérieux et la pure parodie, la saga un rien kitsch de Kei et Yuri se déploie au premier degré et demi et s’apparente à une exploration aussi sarcastique qu’affectueuse d’un genre (la SF insouciante) et d’une imagerie (l’érotisme grand-public). D’une série animée à l’autre, du manga de Haruka Takachiho aux comics d’Adam Warren, nos accortes gaffeuses ont connu bien des incarnations. Comme si elles n’en finissaient pas de stimuler les imaginations.
(Paru dans Manga Impact, Editions Phaidon, 2010)