Goichi Suda est un drôle d’énergumène. Dans le monde du jeu vidéo japonais, il tient le rôle (quitte à en rajouter à l’occasion) de l’otaku punk, fameux pour ses provocations potaches et ses jeux pop déstabilisants. L’Occident l’a découvert en 2005 avec Killer 7, chef d’œuvre lynchien conçu avec Shinji Mikami, le père de Resident Evil. Les deux hommes ont depuis à nouveau uni leurs efforts et leur dernier bébé, l’intriguant Shadows of the Damned, paraîtra le 23 juin. Histoire de patienter, une autre création mémorable de Suda, No More Heroes, nous revient dans une version revue et augmentée. Sous-titrée Heroes’ Paradise, celle-ci bénéficie d’une compatibilité avec le PlayStation Move de la PS3 qui lui permet de reprendre le gameplay à base de détection de mouvements de l’original, paru sur Wii en 2008, mais se révèle tout à fait jouable avec une manette classique.
Nous voilà donc de retour dans la pimpante cité de Santa Destroy en compagnie du très poseur Travis Touchdown, apprenti assassin qui devra venir à bout des dix tueurs qui le précèdent au palmarès de la spécialité. « L’histoire est basée sur les années 70 et 80, sur le cinéma américain, la Californie… L’atmosphère des environnements est primordiale, le contexte est plus ironique que réaliste », nous confiait Suda en 2008 au cours d’un entretien si décousu qu’il en devenait journalistiquement à peu près inexploitable. « L’intrigue s’inspire du film El Topo d’Alejandro Jodorowsky, mais le personnage, lui, a quelque chose de Johnny Knoxville de Jackass », ajoutait-il. De fait, No More Heroes est le cadre de multiples collisions d’influences, de son fantasme de ville californienne à ses effets vidéoludiques rétro (gros pixels, bips préhistoriques) en passant par la collection de figurines manga de notre improbable antihéros et le nom de l’objet sèchement directif de son affection (Sylvia Christel, soit quasiment celui de l’actrice d’Emmanuelle).
Esthétiquement fascinant, No More Heroes suscite davantage de réserves sur le plan ludique. Sa façon de marier combat frénétique (dans un esprit très arcade) et déambulations dans un monde ouvert (mais, malheureusement, assez vide) à la GTA débouchant, côté gameplay, sur une valse à deux temps souvent plus laborieuse qu’entraînante. Le résultat ne s’en révèle pas moins unique. Et le prochain Goichi Suda est toujours attendu de pied ferme.
(Paru dans Les Inrockuptibles n°810, 8 juin 2011)
No More Heroes : Heroes’ Paradise (Grasshopper Manufacture / Konami), sur PS3