Le cas Elia Kazan a toujours divisé. S’il est l’auteur de deux films magnifiques (Le Fleuve sauvage et La Fièvre dans le sang), ses œuvres « légendaires » (Sur les quais, Un tramway nommé désir, A l’est d’Eden) sont largement surestimées et valent surtout comme contributions au mythe de leurs acteurs-vedettes, Marlon Brando et James Dean.
Mais à l’ombre de ces « classiques » se cachent des films plus modestes qui, abstraction faite d’un côté « film à thèse » un peu envahissant, offrent une peinture plutôt réussie de certains aspects de la société américaine de l’époque en oubliant les outrances théâtrales au profit d’un réalisme semi-documentaire assez curieux. C’est le cas de de Boomerang (1947), d’Un homme dans la foule (1957) ou de ce Panique dans la rue de 1950 où Richard Widmark incarne un médecin militaire qui poursuit dans la Nouvelle-Orléans un homme atteint de la peste. Le film décrit avec justesse un monde interlope peuplé de dockers précarisés et de petits truands au milieu desquels navigue Widmark, lancé dans une course contre la montre.
Comme Les Forbans de la nuit (1950) de Jules Dassin et Menaces dans la nuit (1951) de John Berry, le film prend la forme d’une traque. Mais, contrairement à ces deux autres films noirs exactement contemporains qui sont centrés sur le fugitif, Panique dans la rue suit l’homme qui pourchasse et qui, assisté par la police, cherche par tous les moyens à obtenir des renseignements pour retrouver le fuyard et stopper l’épidémie. Ce qui, avec le recul, ne manque pas de troubler : deux ans avant de se montrer bavard devant la « Commission des activités antiaméricaines », Kazan tourne un scénario aux résonances maccarthystes qui paraît annoncer ses dénonciations, prenant cinématographiquement le parti inverse de Berry et Dassin qui, placés eux aussi sur la liste noire, choisiront l’exil. Des décisions opposées presque déjà lisibles dans leurs films.
(Paru dans Libération du 20 septembre 1997)
Panique dans la rue (Panic in the Streets, 1950) d’Elia Kazan