C’est au cœur d’un monde cruel que prend place l’intrigue de Ninja Scroll. Situé dans un Japon féodal riche en éléments fantastiques, ce féroce héritier manga du genre chanbara regorge en effet de scènes gores ou à l’érotisme morbide. L’héroïque épopée du ronin Jubei (inspiré d’un samouraï légendaire) et de la longiligne Kagero, ninja de son état, est ainsi ponctuée de combats au sabre s’achevant souvent en avalanche de membres tranchés dans un flot de sang. Pour Yoshiaki Kawajiri (Wicked City, Vampire Hunter D), le recours au dessin animé semble le fruit d’un constat simple : celui-ci rend possible bien des choses qui, dans le cinéma en prises de vues réelles, seraient trop difficiles techniquement ou trop coûteuses. Ou alors, aux yeux du public, trop choquantes.
S’il ne ménage pas son spectateur, Ninja Scroll ne se résume pourtant nullement à un étalage complaisant de séquences d’action extrêmes, car c’est ici tout un univers de mystères qui se dévoile sous nos yeux, un espace gouverné par les faux-semblants où un tatouage peut soudain se changer en vrai serpent menaçant. De villages décimés par la peste en forêts que hantent d’impitoyables démons, Kawajiri dessine un flamboyant théâtre d’ombres où s’incarnent les mythes. Sans négliger, en contrepoint aux prouesses physiques de ses héros aux visages anguleux, d’offrir tout un florilège de notations visuelles et sonores secondaires qui contribuent à doter le film d’une réelle consistance. Un nuage de lucioles éclaire la nuit. Une araignée patiente sur sa toile. Une branche est emportée par le courant de la rivière.
Film d’autant plus influent qu’il remporta en son temps dans les salles américaines un succès alors inhabituel pour l’animation nippone, Ninja Scroll demeure cependant une œuvre dont les partis prix esthétiques ne feront jamais l’unanimité. Tel est le prix à payer pour avoir eu l’audace de pousser ses idées jusqu’au bout.
(Paru dans Manga Impact, Editions Phaidon, 2010)
Ninja Scroll (1993) de Yoshiaki Kawajiri