A première vue, l’alliance entre Hideo Kojima et le studio Platinum Games avait tout du mariage de la carpe et du lapin. D’un côté, le père de la très singulière saga Metal Gear, adepte d’un jeu vidéo cérébral riche en dispositifs complexes, effets de distanciation et références politico-cinéphiles. De l’autre, les plus brillants héritiers de la tradition arcade japonaise, fervents partisans d’une action joyeusement frontale et auteurs, entre autres, des flamboyants Vanquish et MadWorld. Entre ces deux approches quasi opposées, laquelle allait donc prendre le dessus ?
La réponse est simple : aucune. Et c’est l’un des secrets de la réussite de Metal Gear Rising, jeu tout en paradoxes et en ruptures de rythme. Entre le combat estampillé Platinum et les longs – parfois autant que la séquence de jeu qui suit – interludes dialogués, l’idée semble n’être ici ni de choisir ni de tenter la fusion mais d’organiser sans relâche la confrontation, façon dialogue philosophique, duel au soleil ou passe de tango. Quitte, au passage, à tester éventuellement la résistance du joueur qui pourrait, par exemple, ne venir chercher ici que sa dose de baston coutumière (et qui devra percer lui-même les mystères d’un système de combat assez mal présenté). Avec Raiden (ex-star de Metal Gear Solid 2), son héros cyborg donc mi-homme mi-robot, le jeu va encore plus loin dans la cohabitation de principes discordants. Là où, sur un registre a priori proche, les essais passés de Platinum misaient sur la souplesse (Bayonetta) ou la puissance (Anarchy Reigns), Metal Gear Rising est d’abord une question de nervosité, de mouvements syncopés que redouble le recours généreux aux arrêts sur image.
Le mode « ninja » pour la course (effrénée, presque automatique) se déclenche lorsqu’on presse l’une des gâchettes de la manette. Si l’on appuie sur l’autre, c’est le mode « katana » pour trancher au sabre objets et adversaires – toujours cette idée de coupure, de division. L’affaire est binaire : 0 ou 1, on ou off, yin ou yang, saut ou sprint, frénésie sportive ou vertige géopolitique. But du jeu : dompter le balancement, intégrer la palpitation, faire corps avec elle. Sur le plan du plaisir purement tactile, cet étonnant Metal Gear Rising se révèle moins gratifiant que Bayonetta, mais l’exercice n’en est pas moins stimulant. Dans le plus pur style Kojima, le jeu a aussi pour avantage de ne pas manquer d’un humour légèrement absurde dont la plupart des scénaristes de blockbusters guerriers auraient tout intérêt à s’inspirer. Carpes et lapins font parfois de beaux enfants.
(Paru dans Les Inrockuptibles n°901, 6 mars 2013)
Metal Gear Rising : Revengeance (Platinum / Konami), sur PS3, Xbox 360 et PC