En cette toute fin du mois de mars, Keita Takahashi fait escale en France. Quelques jours plus tôt, le game designer japonais était à San Francisco pour la Game Developers Conference, grand raout annuel de la profession où, comme à son habitude, il a abreuvé ses confrères de réflexions rafraîchissantes sur le jeu vidéo. Mais, avant toute chose, il leur a montré sa nouvelle écharpe, qu’il porte encore sur lui pour ce mini-séjour parisien. Confectionnée par Madame Takahashi mère, celle-ci a notamment pour avantage de permettre au fiston d’y glisser ses mains afin de les protéger en cas de grand froid. Ce précieux tricot est aussi le premier « produit dérivé » de Noby Noby Boy, le dernier jeu en date de Keita Takahashi disponible depuis le mois de février sur le service de téléchargement de la PS3 pour la somme quasi-ridicule de 3,99 euros. Cette écharpe à l’effigie du souriant Boy se révèle même remarquablement en phase avec le jeu qui l’a inspirée : tranquillement singulière, résolument artisanale et conçue pour qu’on se sente bien quand on y met les mains.
Pour le public vidéoludique, Keita Takahashi est avant tout l’auteur du génial Katamari Damacy (PS2, 2004) et de sa suite We Love Katamari (2005), duo de jeux marquants par leur style graphique (naïf, ultra-coloré), leurs musiques (à jamais incrustées dans nos esprits) et surtout leur gameplay inédit. Invité à faire rouler à travers un monde (le nôtre, ou presque) une boule sur laquelle viennent se coller tout un tas de trucs (d’abord des trombones, bientôt des vélos, des animaux, plus tard la Tour Eiffel) et qui grossit en conséquence, le joueur y est un prédateur burlesque, producteur de chaos autant qu’extrémiste du rangement – tout doit disparaître de ce qu’il trouve sur son passage.
Le principe a depuis été décliné sur PSP, Xbox 360 et iPhone, en attendant une version PS3 promise par Namco Bandai pour la fin de l’année. Mais sans Keita Takahashi, qui est passé à autre chose. Après avoir envisagé d’abandonner le jeu vidéo – ce qu’il n’exclut toujours pas pour l’avenir – et de concevoir un parc de jeux pour enfants – le projet est toujours en cours –, il s’est pourtant remis au travail chez l’éditeur japonais. Pour accoucher finalement de cet improbable Noby Noby Boy.
Plastiquement au moins, le jeu rappelle Katamari. Mais Takahashi a délibérément tourné le dos à certaines des conventions les plus enracinées du jeu vidéo, à commencer par la présence d’un objectif explicite. Dans des niveaux-bacs à sable peuplés de requins volants ou de cosmonautes évoluant à dos de poules, chacun est invité à manipuler une créature du nom de Boy, qu’il peut allonger à volonté et faire gober des objets. Pour découvrir bientôt que si le surréaliste Noby Noby Boy possède quand même un but, ce dernier repose sur la collaboration de tous. Après avoir étiré Boy, les joueurs du monde entier mettent en commun les longueurs obtenues, qui permettront à un autre « personnage », Girl, de grandir à son tour pour relier peu à peu les planètes du système solaire, débloquant à chaque fois de nouveaux terrains d’expérimentation ludique. Quatre jours après le lancement du jeu, la lune était atteinte, mais cette conquête collective de l’espace ne fait encore que commencer. Comme, on l’espère, l’œuvre inclassable de Keita Takahashi, producteur sans égal de rêves à partager.
(Paru dans Amusement n°5, juin 2009)
Noby Noby Boy (Namco), sur PS3