Avec l’automne reviennent, selon le calendrier des diffusions américaines repris par certaines chaînes françaises, les séries laissées en plan des mois auparavant. Urgences, X-Files, NYPD Blue et quelques autres. Dans l’intervalle, l’amateur de séries s’est vu offrir des rediffusions, et n’a rien raté de ce qu’il connaissait déjà par cœur. Ainsi va sa vie, entre retour du même et attente d’un changement qu’il exige tout en espérant secrètement qu’il lui sera refusé. Il connaît la chanson. Comme ses héros.
Ces dernières années, quelques personnages hybrides ont fait leur apparition, pourvus d’un savoir qui ne peut être que celui du spectateur expérimenté. Dans Profiler (sur Série Club), Sam, membre d’une unité spéciale chargée de traquer les tueurs en série, décrypte sans mal les motivations des assassins et est assaillie par des flashes lui montrant leurs crimes. Elle connaît les règles, tout n’est que rediffusion, des images familières s’imposent à elle. Alors que ses collègues, flics télévisuels à l’ancienne, cherchent des indices, Sam sait tout. Tous l’écoutent.
Une autre série aujourd’hui défunte jouait sur cet effet de déjà-vu : Millenium (également sur Série Club), dont le héros, Frank Black, a lui aussi d’oppressantes visions des crimes sur lesquels il enquête. Dans l’un des premiers épisodes de la série, il affronte un poseur de bombes qui est son reflet inversé. Le criminel entend les cris des victimes, voit la panique, le sang versé, avant même les explosions, et il en jouit. Frank, lui, les voit et revoit après, et il en souffre. Le premier est un metteur en scène, le second un spectateur épuisé, au visage marqué, à la voix rauque, inquiet et las, qui fait le compte de ses heures sans sommeil mais ne peut cesser de regarder défiler les images.
Ces phénomènes ont à voir avec la confusion, omniprésente dans les séries, entre travail et vie privée. Toutes ces images, Sam et Frank les prennent pour eux, comme si elles leur étaient personnellement destinées. Seule issue : le pur professionnalisme. New York District (sur 13e rue) est la série qui s’en approche le plus. Chaque épisode se divise en deux parties. Dans la première, les policiers enquêtent sur un crime – trouver le coupable. Ensuite, les procureurs recherchent des preuves – reconstituer l’histoire. Il est rarissime que la vie privée des personnages interfère avec leur action (qui, alors, se ralentit). On avance pas à pas mais très vite, sans temps mort, les faits se dévoilant progressivement. Ni redite ni attente : c’est toujours une première et unique fois. Pour les personnages, machines éternellement neuves, mais pas pour nous. A la fin de chaque épisode, l’affaire est classée. Dans l’esprit du spectateur, de Sam, de Frank, les rediffusions ont déjà commencé.
(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°551, novembre 2000, chronique « Serial Lover »)