Un outsider, c’est, dans le langage courant, quelqu’un dont la victoire semble bien improbable. Mais, en Anglais dans le texte, c’est d’abord un étranger. Lorsque, en 1982, Coppola tournait The Outsiders, ses ados prolos bagarreurs et néanmoins gominés l’étaient dans les deux sens du terme : a priori peu susceptibles de l’emporter sur les sportifs immaculés des beaux quartiers, ils venaient de très loin, de La Fureur de vivre et de ses divers ersatz. Huit ans après, Coppola a offert une suite à son film en produisant la série du même nom, demeurée inédite en France jusqu’à ce que Série Club ait la bonne idée de la programmer (depuis le 21 septembre). La problématique du film s’y pose à nouveau, mais au carré : les modèles sont les mêmes, mais filtrés et redoublés par le film. On ne rêve plus de James Dean mais du personnage qu’incarnait Matt Dillon dans The Outsiders-premier du nom, et les réalisateurs des différents épisodes tournent sous le regard vigilant de Coppola et non en songeant à Nicholas Ray.
C’est le drame et la chance de toute série : venir après, et faire avec les restes. Mais si The Outsiders-la série est un produit dérivé, c’est surtout au sens où elle se donne le luxe de la dérive tremblante, de l’errance mélancolique pour devenir une belle miniature étirée à la rage toute sentimentale. Ici, on pense sans cesse aux anciens, aux aînés, aux disparus. On se demande ce qu’on leur doit, quelle est la meilleure manière de prendre leur suite (se faire tuer comme le protagoniste du film ? rentrer dans le rang pour ne pas commettre son erreur ?). Le héros apparent de la série est très jeune – logique : la série télé n’est pas le cinéma devenu vieux mais son adolescence retrouvée. Mais la véritable vedette est tenue par un groupe qui ne tient pas exactement de la bande. Plutôt, entre trois frères et ceux qui se joignent à eux, une ébauche de famille. L’outsider vient de dehors (« outside »), la télé le recueille et devient son foyer.
Rien d’étonnant à ce qu’une autre bonne nouvelle série (Roswell, également sur Série Club) nous parle d’ados extra-terrestres cherchant à se faire passer pour des lycéens américains ordinaires. Eux aussi possèdent une double origine (Mars ou l’une de ses voisines, et un siècle de SF filmée) sur laquelle ils s’interrogent ; eux aussi cherchent un lieu (ie : une fiction) où s’installer. La télé est ce lieu qui, plus encore qu’elle ne recycle les formes du cinéma, en accueille les personnages défaits. Héros, monstres et seconds rôles y affluent. Elle est aujourd’hui, pour eux, la plus sûre des terres d’asile.
(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°550, octobre 2000, chronique « Serial Lover »)