Faussement nonchalant, il entre en scène. Veste bleu marine et chemise blanche à fines rayures, le bonhomme a abandonné les paillettes pour un style plus proche de feu sa période Smiths (1983-1987). Avec juste une petite coquetterie: de fausses cicatrices dessinées sur son visage et sur une main. Derrière, ses musiciens, gang d’efficaces tâcherons, de petites frappes rockab’ aux dons musicaux aléatoires.
A l’époque, en février 1995, Morrissey est sur le retour. L’année précédente, son album Vauxhall and I le voyait renouer avec la mélancolie intello après trois ans d’essais rock, une tentative avortée de conquête des Etats-Unis et une polémique sur ses « opinions politiques » suite à la chanson National Front Disco et à quelques déclarations maladroites.
Le film réalisé par James O’Brien est un montage de deux concerts enregistrés à Sheffield et Blackpool. Avec un défaut majeur: les treize morceaux choisis ne représentent qu’une partie du concert, excluant au passage London et Shoplifters of the World Unite, deux chansons des Smiths que, pendant cette tournée, Morrissey reprenait pour la première fois depuis pas mal d’années. Mais le film n’est pas si mauvais, on croit même avoir remarqué quelques plans qui durent plus de cinq secondes. Ceci dit, même filmé façon clip, un concert du Moz est toujours bon à prendre.
D’autant que Morrissey a rarement été aussi bon. Il alterne poses outrées (dos au public, la tête dans les mains, ou effondré sur le sol pour un malaise simulé) et mouvements étranges, fendant l’air avec le pied du micro. Et, surtout, il chante. Aux intonations quasi féminines qui ont fait sa légende succède une hargne nouvelle, comme ce « I’m gonna get you » (« Je vais t’avoir ») vengeur sur Jack the Ripper. Dans le public, une fille s’évanouit. D’autres spectateurs, indifféremment garçons ou filles, se précipitent sur la scène pendant tout le concert, histoire de toucher un instant leur héros ou de l’embrasser dans le cou. Comme pour prouver que Morrissey est toujours l’idole des ados (éventuellement attardés) mélancoliques.
Arrivent quelques versions d’anthologie. Comme ce National Front Disco qui s’achève en déluge sonique ponctué de violents flashes lumineux avant enchaînement sur le somptueux Moonriver de Mancini. Ou ce We’ll Let You Know, qui débute déprimé pour finir tragiquement fier. Là, n’y tenant plus, un ado grimpe sur la scène une lettre à la main, que le Moz glisse immédiatement dans sa poche. Autre sommet : Hold on to Your Friends, manifeste dérisoire pour l’amitié, où Morrissey lance son « When you feel happy I’m so far from your mind » (« quand tu es heureux, je suis si loin de tes pensées »). Plus loin, c’est le mélodramatique Now My Heart is Full, sur le même thème. Et le concert s’achève avec Speedway, sur une proclamation bien sentie: « In my own sick way, I’ve always been true to you » (« A ma façon tordue, j’ai toujours été sincère avec vous. »)
(Paru dans Libération du 10 septembre 1996)